La cigogne vous a déposé à Paris en 1932... Vous êtes donc un basque parisien.
Oui, la cigogne m’a déposé sur la colline de Montmartre, le 17 novembre 1932. Mes parents étaient montés à Paris pour raisons économiques, chacun de leur côté, et c’est là qu’ils se sont rencontrés. En fait, ils se connaissaient déjà car ma mère était de Larrau et mon père de Licq, donc de la vallée d’Andoze. Pour moi, apprendre le basque à Paris, c’était une autre affaire. En effet, jusqu’à cinq ans, je parlais basque mais ensuite je l’ai oublié. C’est à treize ans que j’ai de nouveau pu le parler. C’était curieux car mon père ne voulait pas parler basque avec nous, mais à ma mère ça lui échappait. Entre eux, par contre, ils ne parlaient jamais français...
À sept ans, vous venez pour la première fois en Euskal Herria, en Soule... Quelle impression en avez-vous gardé ?
C’était deux ans et demi après le début de la guerre. Je pouvais comprendre le basque mais pas le parler. Ma mère utilisait une formule spéciale : si je lui répondais dans la même langue quand elle s’adressait à moi en basque, elle passait toujours au français. Donc pour entendre ma mère parler basque, j’étais obligé de lui parler français. En Soule, j’ai découvert la nature, ce qui m’a amené, plus tard, à étudier la biologie. Je travaillais un peu aussi, aux travaux de saison, au sarclage du maïs, etc. La Soule d’alors ne ressemblait pas à celle d’aujourd’hui. À l’époque, tout le monde parlait basque... À Licq, quatre personnes seulement ne le parlaient pas...
Vous avez connu la guerre de près...
Maman vivait la peur au ventre parce mon père distribuait de la propagande pour la résistance. Au moment de la libération de Paris, papa a disparu et, pendant quelques jours, on n’a eu aucune nouvelle de lui... jusqu’à ce qu’il se présente à la maison avec un fusil Mauser. Il était dans la résistance active ! Au bout de quelques jours, nous, les enfants, avons également pris part aux événements, en montant des barricades... Après la guerre, en revanche, nous avons souffert de la faim.
Joannes, le père, communiste ; Maddalen, la mère, bascophone croyante... Txomin, le fils, est athée ?
Papa lisait « L’Humanité » et vendait le journal dans les rues, le dimanche. Moi aussi, je me suis habitué à le lire. De toute façon, papa n’était pas un communiste dogmatique et il a abandonné la politique. Et le fait que je sois athée n’a rien à voir avec le militantisme de mon père. C’est la vie qui m’a rendu athée... et je le suis de plus en plus, d’ailleurs. Mais j’ai étudié les religions et je viens de terminer un nouveau livre intitulé, en espagnol, « El imaginario en las creencias populares y cultas ». Il ne s’agit pas de me moquer de la religion mais d’en dévoiler les contradictions.
Comment vous est venue la passion pour la culture basque ?
Deux raisons m’ont motivé : d’une part, mon frère et moi avons découvert à la maison « En France », un livre d’Onésime Reclus, signé du géographe béarnais qui disait que la langue basque allait disparaître au XXe siècle. Il ajoutait qu’une langue sans littérature était deux fois condamnée à disparaître. La seconde raison a pour nom Andima Ibinagabeitia. Ces deux raisons m’ont « forcé » à écrire en basque. J’ai rencontré Andima au siège parisien du Gouvernement Basque. À l’époque, j’étudiais le breton et c’est au siège du G.B. que j’ai entendu pour la première fois le choeur « Gernika ». Je ne savais rien du nationalisme, même pas que ça existait ! Et comme j’aimais aussi chanter en basque, j’ai frappé à la porte du siège de l’Avenue Marceau et c’est Andima qui m’a ouvert. Et quand je lui ai déclaré : « Je suis intéressé par le nationalisme basque. »... Il m’a répondu : « Apprenez d’abord le basque ! On verra après si vous être abertzale ou nationaliste. » Depuis, je suis nationaliste.
Votre premier écrit en basque date de 1948...
C’était la traduction d’une chanson bretonne. En 1953, j’ai écrit un roman qui est resté dans un tiroir car je ne savais pas où le publier. En 1964, je me suis présenté au Prix Txomin Agirre et il se trouve que je l’ai reçu. Deux ans plus tard, le roman était publié sous le titre « Gauaz ibiltzen dena ». Au bout de treize ans !
Txomin Peillen, Paris... tout cela nous mène à Jean Mirande...
C’est par l’intermédiaire d’Andima que j’ai fait la connaissance de Mirande. Mais Mirande, pour moi, a été un échec, car je n’ai pas réussi à l’éloigner du fascisme et de le maintenir en vie. Son poème le plus ancien date de 1948, c’est un sonnet sur la mort. Je voulais l’aider... mais il ne m’a pas écouté ! Il écoutait beaucoup plus Andima que moi, mais malheureusement ce dernier est parti en Amérique. Mirande tombait souvent dans le désespoir. Ça a été mon premier échec. J’en ai eu un autre, avec Alfontso Irigoyen. Je n’ai pas pu tranquilliser cet homme coléreux.
Deux échecs pour un succès...
Oui, ma femme... Je l’ai rencontrée à Paris où elle enseignait. Nous étions de vieux amis et, un beau jour, nous avons décidé de nous marier. C’est une normande qui s’appelle Marie Thérèse Olivier et nous nous sommes mariés en 1964.
Vous avez choisi la biologie comme profession... Pourquoi ?
Je m’intéressais au fonctionnement du corps humain et, en même temps, aux fonctions naturelles. En outre, j’ai également étudié l’ethnologie et, en particulier, l’ethnobiologie et l’ethnomédecine. Tous les travaux que j’ai publiés dans ces différents domaines l’on été en basque. J’ai essayé de marier la biologie et l’ethnologie.
Il semble que l’Algérie vous aie profondément marqué...
J’ai été témoin de choses très fortes pendant la guerre d’Algérie. J’ai fait mon service militaire dans le service de santé. J’avais une carte de la Croix Rouge, en tant qu’infirmier chef. Des civils algériens venaient nous voir et j’ai appris un peu d’arabe. J’ai eu à traiter de nombreuses maladies : tuberculose, typhus, glaucome oculaire...
Mais par-dessus tout, l’Algérie vous a rendu pacifiste...
Oui car, en Algérie, j’ai vu ce qu’était la torture. Les prisonniers étaient traités comme des chiens. On nous interdisait de les soigner. C’est là que je suis devenu pacifiste.
Après cette expérience de quatre années, Mai 1968 vous trouve à Paris, professeur. Vous avez laissé l’enseignement pour quelques jours... sans pouvoir participer pour autant aux événements dans la rue...
Oui... le sentiment de l’Algérie avait pris une grande importance pour moi. Par ailleurs, pour moi, ce n’était pas la révolution. Les français avaient le ventre trop plein pour faire la révolution... Toutefois, il me semblait qu’au lycée, nous devions entamer une profonde réflexion avec les jeunes, et débattre de ce qui se passait. C’est ainsi que j’ai expliqué la situation du Tiers-monde, surtout pour dénoncer qu’en Europe nous vivions à leurs dépens.
Vous vous installez en Euskal Herria en 1982...
Pour passer ma thèse de doctorat, j’ai appris qu’un poste était libre à l’Université de Pau. Je pensais que pour poursuivre mes recherches en basque, je devais vivre en Euskal Herria. Une chaire de basque a été créée à la Faculté de Bayonne, et je suis devenu titulaire de cette chaire de basque et de Civilisation basque jusqu’en 1998. Actuellement, je suis professeur émérite. J’interviens dans les congrès, les journées, etc.
Ce qui vous permet de diffuser votre travail, qui vous a également mené outre océan...
J’ai mené des recherches sur la diaspora basque d’Amérique du Sud, en Argentine et en Uruguay. Aujourd’hui encore, j’ai de la famille dans ces deux pays. J’ai travaillé à l’Université de Montevideo où, en parallèle aux conférences, j’ai rédigé un livre intitulé « Bosquejos vasco uruguayos », chronique sur l’émigration socio-économique des basques.
Vous avez fait des recherches sur les basques du Pays basque et de la diaspora, vous êtes entré en contact avec l’esprit basque... Ce qui vous a mené à prendre un engagement ferme envers le peuple basque et vous a mené tout droit à la politique... Vous êtes abertzale et militant...
Savez-vous pourquoi je suis entré en politique ? Parce que je suis pessimiste ! Les optimistes font des dégâts en politique et, moi, j’ai toujours été critique. Maintenant, en revanche, je ne suis plus militant. Je l’ai été assez longtemps. C’est peut-être parce que je suis un peu anarchiste sur les bords que souveraineté et indépendance sont des mots qui m’irritent. Je suis quelqu’un qui a trop rêvé. Et je poursuis ma collaboration, et mes critiques, pour la revue Zubiak.
Le Centre des Études Basques vous a décerné le Prix Manuel Lekuona en 2009, pour votre opera omnia. Vous avez des raisons d’être fier, n’est-ce pas ?
Sans aide, je n’aurais pas été écrivain, chercheur, bascophone, nationaliste, etc. Et si je n’avais pas connu un certain nombre de gens dont, entre autres, Ibinagabeitia, Mitxelena, Aresti, Haritschelhar, Apalategi, qu’en aurait-il été de moi ? Sans ceux qui m’ont guidé et encouragé aux moments d’abattement ? Txomin Peillen Karrikaburu (Paris, 1932) Txomin Peillen est né en le 17 novembre 1932 à Paris. Ses parents, Joanes Peillen Ligi eta Maddalen Carricaburu, étaient basques mais la vie les a mené à se connaître en France. Au cours de sa jeunesse, Txomin est influencé par la lecture de revues. Son père étant communiste, la rubrique culturelle de L’Humanité lui plaisait, mais il privilégie vite la politique qu’il aborde clandestinement en lisant Combat, la revue qui fut dirigée par Albert Camus. Selon Txomin Peillen, c’est la découverte du monde basque qui constitue l’événement majeur de sa vie, outre son mariage avec Marie-Thérèse Olivier, en 1964. En Algérie, il est infirmier major et dispense des soins médicaux gratuits pour la Croix-Rouge. C’est là qu’il apprend des rudiments de médecine, un peu d’arabe dialectal et qu’il devient pacifiste. Il se définit comme un ennemi de la violence et comme partisan de Gandhi. En 1982, il s’installe au Pays Basque et c’est de sa maison de Sainte-Engrace qu’il mène ses travaux ethnographiques les plus importants, surtout avec les chroniqueurs de Sainte-Engrace et de Licq. Après des études scientifiques —biologie et géologie— à Paris, il enseigne ces matières pendant 22 ans en collège et lycée. Participe aux travaux du Laboratoire des Langues et des civilisations orales du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) en 1961 et 1962. Il poursuit ses étude en lettres espagnoles et latino-américaines ainsi qu’en sciences de l’éducation. Il enseigne la langue et la littérature et exerce pendant 12 ans comme professeur de basque au lycée Lavoisier de Paris. Il obtient son doctorat en études basques avec Haritschelhar à Bordeaux puis devient professeur de basque à l’Université de Pau, poste qu’il occupe pendant 15 ans. Il est actuellement professeur émérite. En parallèle à ses activités pédagogiques, il rédige des travaux sur la phytologie et la linguistique, en basque et en français, dont la plupart concernent la Soule. Andima Ibinagabeitia l’a encouragé à s’immerger dans la littérature basque et à persévérer sur cette voie. C’est avec Andima et Jon Mirande qu’il publie articles et poésies dans les revues Gernika, Egan et Euzko Gogoa. Il obtient à plusieurs reprises le prix Domingo Aguirre. Parmi ses écrits, citons les suivants : Gauaz ibiltzen dena, Itzal gorria, Gatu beltza, Altxorra eta alkimia, Buffalo Billen abentura, Errotaria errege, Mirko printzea, Allande Elizagarai ligiarraren ixtoriak. Des recueils de contes pour enfants et de contes érotiques pour adultes, outre des récits de fantaisie, d’humour et d’intrigue. Dans le domaine de la recherche, on compte à son actif 24 ouvrages et 192 articles publiés dans un grand nombre de revues. Bien que la plupart de ses travaux aient été rédigés en langue basque, il est conscient de l’importance d’écrire et de parler d’autres langues. Ainsi, il a publié trois livres en français, l’ouvrage « Bosquejos Vasco Uruguayos » en espagnol ainsi qu’un article et un chant en anglais. En d’autres termes, il s’efforce de divulguer ses travaux auprès du plus grand nombre. Source : Autobiographie de Txomin Peillen Karrikaburu