Jean Echenoz: "Après l'attribution du prix Goncourt, ma vie n'a pas changé"

2000-03-10

HONTAAS, Sophie

Elkarrizketa: Jean Echenoz Jean Echenoz, écrivain "Après l'attribution du prix Goncourt, ma vie n'a pas changé" * Traduction au français de l'original en basque Sophie Hontaas Même si Jean Echenoz a élu domicile à Paris, il passe régulièrement ses vacances à Biarritz depuis longtemps. Il suit de près les événements qui se déroulent au Pays Basque. Il y trouve des sources d'inspiration. Le Pays Basque a influencé son dernier roman "Je m'en vais", dont le suspens se termine à Saint Sébastien. Avec ce roman, précisèment, il a reçu le prix le plus important en littérature, en France, le prix "Goncourt". Est ce que vous pourriez vous présenter, présenter votre biographie, votre bibliographie? Ma biographie se confond un peu avec les livres ( ). Je suis né en 1947 dans le Vaucluse. J'ai vécu dans le midi jusqu'à l'âge de 22 ans, où j'ai commencé des études supérieures à Aix en Provence. Je suis parti les poursuivre à Paris. J'ai commencé à publier il y a 20 ans, en 1979. Je vis à Paris depuis 1970. Comment est ce que vous avez commencé à écrire, dans quelles circonstances, à quel âge? Il se trouve que dans mon enfance, je vivais dans une maison où il y avait beaucoup de livres. Mes parents étaient et sont toujours d'ailleurs des lecteurs très fervents. Le goût pour la lecture et l'écriture est donc arrivé très tôt, dès l'enfance. Je me vois écrivant des petits poèmes, j'avais 7 8 ans et ça a toujours été une pratique un peu naturelle et disons, d'amour. Pendant toute ma jeunesse, j'écrivais des textes que je ne faisais lire à personne, que je n'achevais généralement pas. Des textes en tous genres qui pouvaient relever du journal intime, du récit épistolaire, de tentatives de nouvelles qui n'étaient pas destinés à la lecture d'autrui... mais je n'avais pas encore compris que cela requérait un certain travail. Et puis un peu avant trente ans, est arrivé le moment où il était temps de mettre à l'épreuve de la réalité ce désir permanent que j'avais. Alors j'ai entreprisun premier livre, il a été publié et depuis je n'ai plus arrêté. Pourquoi est ce que vous écrivez, est ce que c'est pour quelqu'un? C'est pour moi, d'abord pour moi, pour l'idée d'un lecteur imaginaire qui n'existe pas et qui n'est que moi. C'est un plaisir un peu égoïste avec l'hypothèse que ce plaisir puisse se confondre avec le plaisir d'autres personnes éventuelles. Par chance c'est un peu ce qui s'est passé très progressivement (sourires). Quant à savoir pourquoi je fais cela, c'est parce que j'ai l'impression de ne pas savoir faire grand chose d'autre. Si j'étais privé de cette activité quotidienne sauf ces jours ci en vacances que j'ai tous les matins, je crois que je serais très malheureux. C'est un rythme que vous avez, il y a des heures privilégiées auxquelles vous vous astreignez? Je ne m'astreins jamais. Si je travaille tous les matins, ce n'est pas une question de discipline, c'est un ordre naturel des choses: je me lève, je prépare du thé, je prends une douche et j'allume la machine. Jamais dans la contrainte, seulement quelquefois dans la difficulté mais toujours dans un sentiment de nécessité, cela va de soi. Par contre le travail lui même ne va pas toujours de soi, je peux passer une matinée sur une phrase et puis au bout du compte cela ne va pas. Il y a des moments un peu difficiles comme pour tout le monde. Je travaille toutes les matinées sauf le dimanche, parce que le dimanche je ne sais pas pourquoi je n'y arrive pas et puis dans la deuxième partie de l'après midi je reprends un peu, mais il me semble que le travail le plus efficace se fait le matin. Est ce que l'on peut dire de vous, comme pour d'autres écrivains, que votre imagination se nourrit de faits vécus dans votre enfance ou bien à d'autres périodes de votre existence? Oui on peut le dire, car il y a tout un stock de mémoire dans lequel je peux aller chercher des choses volontairement ou spontanément et en dehors du passé, qui peuvent revenir. Je passe mon temps aussi de façon toutà fait naturelle et non volontariste à chercher ou à attendre que cela se présente, à repérer des détails, des objets, des bouts de dialogues, des éléments, des lieux, des personnages, des rencontres qui me paraissent pertinentes sur le plan romanesque...Quelque fois cela peut être de fausses bonnes idées aussi. Même si les romans que j'écris ne sont pas du tout autobiographiques, cela a à voir forcément avec l'autobiographie, mais brisée en mille morceaux et reconstituée dans un autre ordre. J'essaie de me nourrir en permanence, il y a des choses qui viennent de l'invention et aussi beaucoup de choses qui viennent de ma vie quotidienne. Justement, qu'est ce qui vous a influencé pour écrire ce livre là? Influencé, non. Il se trouve que j'avais publié il y a 4 ou 5 ans un roman qui se passait en partie en Inde ( ), parce que c'est un pays où je me sens plutôt bien. C'est une forme d'ailleurs qui est très proliférant en culture, en langue, en sons, en odeurs, en couleurs, c'est la multiplication généralisée de tout, l'Inde. J'avais fait cela pour un livre publié en 1995 et je voulais utiliser l'idée d'un ailleurs qui soit totalement opposé. Pour celui ci, je voulais que l'idée de la prolifération des éléments soit réduite à un exotisme minimum, c'est à dire qui se réduise au blanc, au froid, donc l'inverse. J'étais allé faire du repérage en Inde pendant deux mois, là pour travailler sur les régions polaires arctiques, je n'avais pas tellement envie d'y aller, pas tellement par frilosité mais parce que je me suis rendu compte que lorsque l'on va quelque part, on a du mal à donner du jeu à des réalités géographiques ou sociales. Donc j'imaginais que je serais plus libre si j'accumulais tout ce que je pouvais trouver sur ces régions: livres, films photos, récits de voyageurs, émissions de télévision même si au bout du compte il n'en reste pas grand chose d'utilisable. Le côté "galerie d'art" est parti d'un mot dans un autre livre : le mot atelier, je voulais qu'il aità voir avec un atelier, ça aurait pu être un artiste ou un photographe mais je n'avais pas envie de travailler sur un personnage de créateur comme cela, c'est donc devenu un ex artiste reconverti dans le commerce de l'art. L'idée de me documenter à nouveau sur une pratique professionnelle, sur les rapports des artistes et des galéristes, m'intéressait et j'ai essayé de me faire une idée aussi générale et non caricaturiste que possible. Est ce qu'on pourrait parler des lieux d'ici: la frontière, San Sébastien? J'ai la chance de venir dans la maison de mon amie Florence Delay depuis 8 9 ans et c'est un pays que je ne connaissais pas et où j'y ai eu le sentiment comme pour l'Inde que j'y respire plutôt mieux qu'ailleurs. Le Pays Basque est un pays que j'aime. Il y a des lieux qui m'ont aussitôt paru présenter une grande pertinence romanesque, ce n'est pas fréquent surtout en France...Paris me parait toujours un moteur, un cadre romanesque... Quand je suis allé pour la première fois à Saint Sébastien, j'ai eu le sentiment que c'était un lieu où je ne pouvais que faire quelque chose, comme pour cette petite ville frontalière qui s'appelle Béhobie, j'ai eu le sentiment d'une action romanesque évidente, une rencontre, un travail d'enquête magique avec certains lieux...des décors qui apparaissent aussitôt comme il y a des décors de théâtre. Comment le personnage principal a t il été campé et puis les autres? Le personnage principal ne me ressemble pas du tout, à part qu'il a mon âge et d'ailleurs je me rends compte qu'au fil des livres, les personnages principaux ont toujours mon âge. Progressivement, j'avais sa profession, il a fallu trouver son nom et monter l'histoire de façon très indirecte, un peu en référence à l'histoire précédente. J'avais quelques personnages que je devais animer. Cela se fait très progressivement au fur et à mesure de versions successives. A mesure, ils prennent de plus en plus d'acuité et quand j'ai cette vision assez précise jusqu'au son deleur voix, et bien c'est que l'ensemble du livre est à peu près fini. Les personnages féminins qui gravitent autour de Ferrer, arrivent, se succèdent... ont ils un rapport avec des personnes que vous croisez? Oui j'avais décidé que ce personnage serait un séducteur assez malheureux, qu'il ne retire pas un extrême bonheur de ses conquêtes, un type à la recherche de rencontres qui ne marchent pas tellement bien. Donc il fallait inventer des personnages féminins qui se succèdent. Pour la plupart inventés avec des traits d'amis ou de personnes croisées: le personnage qui a des Bensons dans la main gauche et un Ericsson dans la main droite, c'est une jeune femme que j'avais aperçue lors d'une réunion mais je ne l'ai vue qu'une heure et à 5 mètres... comme pour les lieux, elle me paraissait une image utilisable, sinon les autres sont des personnages d'invention. Est ce que votre vie a changé depuis que vous avez reçu le prix Goncourt? Non, ma vie n'a pas changé, sauf sur deux points: Émotionnel, le prix Goncourt est un phénomène sociologique assez bizarre qui fait réagir énormément de monde, cela a fait venir des lettres et des messages très affectueux venant de toutes sortes de gens, des personnes plus vues depuis mon enfance, des signes amicaux des gens de mon immeuble, c'était quelque chose d'assez émouvant. Je suis maintenant un peu plus libre matériellement pour travailler (*) et puis je crois que c'est tout ce que cela change. Sauf une chose un peu curieuse, c'est que cela biaise un peu les relations que l'on peut avoir avez les gens, mais par chance je suis entouré d'un premier cercle d'amis extrêmement restreint; pour eux qui me connaissent depuis longtemps, cela n'a rien changé et c'est très important. Comme j'ai une vie sociale assez réduite, je ne suis pas trop affecté par cela. (*NDLR à ce jour il s'est vendu 370 000 exemplaires de son roman primé). Cela a changé quelque chose dans votre travail ? Après cette histoire de prix, pendant quelques mois, c'est assezdifficile de travailler, on est assez sollicité et puis on n'a pas la tête à cela, donc il y a eu une suspension du travail romanesque pendant quelque temps et puis là depuis un mois, il y a une idée qui commence à naître, je commence à prendre des notes, des rendez vous pour mes enquêtes, je crois que cela va reprendre et si cela ne reprenait pas je serais tellement malheureux, ce serait du masochisme. Est ce que vous envisageriez de faire traduire votre roman en basque si il y avait une demande? Ah si il y avait une demande, je serais enchanté. Il y a une dizaine de contrats de traductions en langues étrangères dont l'espagnol puisqu'un de mes éditeurs étrangers les plus fidèles est à Barcelone. (1) Jean Echenoz Le méridien de Greenwich, 1979 (roman) Cherokee, 1983 (roman) L'équipée malaise, 1986 (roman) L'occupation des sols, 1988 Lac, 1989 Nous trois, 1992 (roman) Les grandes blondes, 1995 (roman) Un an, 1997 (roman) Fotografías: Sophie Hontaas Euskonews & Media 70.zbk (2000 / 3 / 10 17) Eusko Ikaskuntzaren Web Orria
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