Ixabel Charritton. Présidente de Seaska: Seaska a construit un modèle général et cohérent, qui doit désormais être développé

2005-03-18

ARBELBIDE, Nora

ITHURBIDE, Maite

L’actuelle présidente, Mme Charritton, est présente dans les bureaux de Seaska depuis six ans déjà. Elle est donc une habituée des lieux, en quelque sorte. Elle maîtrise parfaitement la vie des ikastola. Quand elle n’occupe pas son poste de présidente, elle est conseillère pour les entreprises, dans la gestion de qualité. Heureusement, elle a tout de même un emploi souple, puisqu’elle travaille à son compte. « Ce n’est pas toujours évident de coordonner les deux fonctions, mais c’est essentiel » selon elle, puisqu’elle n’est « pas payée » en tant que présidente, nous confie-t-elle en riant. Isabelle Charritton remplit les fonctions de présidente depuis que Filgi Claverie, son prédécesseur, a dû quitter ce poste pour des raisons professionnelles. Elle a toujours voulu mettre ses enfants à l’ikastola, « avant même d’en avoir ». Elle a également toujours soutenu Seaska. Dans sa jeunesse, elle participait régulièrement aux manifestations. À cette époque, elle travaillait aussi en tant qu’aide enseignante à l’ikastola de Briscous. Elle vit aujourd’hui à Ustaritz, dont l’ikastola accueille ses filles. Selon elle, l’ikastola est le moyen le plus efficace de transmettre la langue basque. Transmission d’autant plus importante que l’on connaît la situation plus que précaire de l’Euskara dans le Pays Basque Nord.

Depuis que vous avez accepté ce poste de présidente, au mois de septembre dernier, à quoi ressemble le quotidien ?

Seaska s’attelle aux mêmes éternels problèmes. Concrètement, en ce moment, nous attendons de connaître le nombre de postes que l’État français nous financera. En ce qui concerne les enseignants du collège, nous avons déjà les résultats, mais nous devons désormais nous organiser. Par contre, nous n’avons pas de nouvelle au sujet du primaire. Nous en aurons bientôt. Ceci dit, en connaissance de ce qu’on nous a accordé jusqu’à présent, nous pouvons dire que le nombre d’heures a été réduit. En principe, on nous supprime quelques heures chaque année. Un demi-poste au primaire, quelques autres au lycée, l’obtention d’un demi-poste quand nous en demandions un entier, etc. Nous devons nous battre continuellement, même pour obtenir ces quelques heures. Car ils les suppriment petit à petit, discrètement. Cela ne saute pas aux yeux, mais c’est tout aussi grave. C’est également pour cette raison que nous avons créé Hiru Sareta. C’est une structure qui est née de la collaboration entre le réseau de l’enseignement public et privé et les ikastola du Pays Basque Nord. Car nous n’ignorons pas que les autres modèles d’éducation subissent les mêmes problèmes. Nous voulons établir une étude globale, tous ensemble, pour dénoncer ensemble cette politique. De même, nous participons à Eskolime, que nous avons créé avec les autres modèles d’immersion français. Bressola avec les Catalans, Calandreta avec les Occitans ou les Alsaciens ; nous mettons en place des stratégies communes. Afin de mieux défendre notre modèle, nous tentons de définir le modèle d’immersion en général : Ses conditions de fonctionnement, le nombre d’heures nécessaires et leur mode d’arrangement, etc. En guise d’exemple, nous souhaitons démontrer qu’il est impossible de développer un modèle d’immersion dans une seule classe, si la langue de communication environnementale est le français. Notre modèle entend enseigner en langue basque et communiquer en langue basque, dans tout l’établissement scolaire. Il est primordial de défendre cet aspect, car certains veulent également le remettre en question.

Cette année encore, nous pouvons donc dire qu’ils continuent à mettre des bâtons dans les roues des « langues régionales » …

La France n’a pas de politique linguistique pour ce qu’elle appelle « langues régionales ». Récemment, lorsqu’ils ont modifié la Constitution française, ils ont à nouveau refusé d’y intégrer nos langues. Ils prétendent qu’ils ne veulent pas les officialiser. Mais cela va plus loin, ils ne veulent même pas les respecter. Car la proposition qui leur a été faite réclamait uniquement le respect les langues, non pas leur officialisation. En général, c’est grâce à la volonté populaire que les améliorations ont lieu dans ce domaine, que ce soit au Pays Basque, en Catalogne ou en Occitanie. Ce sont les citoyens qui prennent les décisions, et qui s’organisent au quotidien.

Ikas-Bi n’est pas entré dans Hiru Sareta, ils ont opté pour les voies judiciaires. Pourquoi n’avez-vous pas fait le même choix?

Parce que le modèle d’immersion n’a pas de reconnaissance légale en France. Il n’est pas interdit, mais il n’est pas positivement reconnu. Nous ne pouvons donc pas défendre notre modèle du point de vue législatif. Eux, par contre, ont cette possibilité. Nous verrons quels seront les résultats qu’ils obtiendront. Il se peut qu’ils gagnent, mais cela ne veut pas dire pour autant que le Ministère ait l’intention de changer sa politique.

Manifestations, occupations, il semble que depuis sa création, Seaska n’a jamais cessé de lutter. La politique française, face à elle, s’est montrée aveugle, et il ne semble pas qu’elle soit sur le point de changer… On pourrait presque parler de fatalité…

(rires). Il n’y a pas de fatalité. Premièrement, il y a eu un grand progrès en 1994, quand Seaska a obtenu le contrat d’association, c’est-à-dire le statut juridique des écoles publiques. En signant cet accord avec le Ministère, Seaska a sauvé notre modèle éducatif, puisqu’on a opté pour une solution à long terme. En effet, c’est grâce à cela que le Ministère paie les enseignants des ikastola. Avant 1994, les rares contrats que nous obtenions étaient précaires. À l’époque effectivement, nous étions constamment dans les rues. Ça a donc été une première officialisation, après 25 ans d’existence de Seaska … Cela fait 11 ans que nous y sommes arrivés, nous pouvons donc penser que dans une vingtaine d’années les choses pourront à nouveau évoluer (rires). Quoi qu’il en soit, cela montre qu’il n’y a pas de fatalité. Il se pourrait que les choses évoluent avec l’Europe. La France est le seul pays d’Europe qui développe le modèle centralisé. Les modèles différents qui l’entourent pourraient peut être faire évoluer les mentalités. Qui sait ? La situation pourrait être différente pour nos enfants ou nos petits enfants. Toujours est-il que cette histoire ne se termine jamais.

Vous croyez donc en l’avenir ? Le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein ?

A priori à moitié plein, sinon je n’aurais pas accepté ce poste.

Pensez-vous que dans 50 ans nous entendrons toujours parler basque dans le Pays Basque Nord ?

Oui. Mais il est vrai que pour cela nous devons renforcer les liens avec le Pays Basque Sud. C’est dans cette relation que la langue basque retrouve son utilité sociale. Le basque est notre lien, que ce soit linguistiquement, socialement ou économiquement parlant. Il me semble que le développement global du Pays Basque Nord est fortement lié à cette relation. Il est trop petit pour Pau ou Bordeaux, il ne les intéresse pas. Le Pays Basque Sud lui, a tout intérêt à renforcer ces échanges.

Localement, comment agissent les élus envers Seaska ?

L’ambiance est en train de changer. Les élus savent désormais que pour sauver la langue basque, il est nécessaire d’agir en sa faveur. Ils s’en rendent compte, qu’ils soient abertzale, de droite ou de gauche. Les mentalités se sont ouvertes, même en pratique. Ils apportent leur soutien à Seaska pour pouvoir aboutir à leurs projets et leurs objectifs. Je pense qu’au niveau local, ils font ce qu’ils peuvent. Le problème, c’est qu’ils n’ont pas le pouvoir nécessaire pour prendre les vraies décisions.

Peut-on dire qu’en quelque sorte, comme nous le constatons dans les actions de Integrazio Batzordea, pour pouvoir vivre en basque au Pays Basque Nord il faut être un acteur de vie? Être actif, cela a aussi des bons côtés, n’est-ce pas ?

En deux mots, Integrazio Batzordea est un projet qui a été créé par des parents d’élèves. Ils pensent que les enfants handicapés développent mieux leurs compétences en étant mélangés aux autres enfants. Cela fait maintenant plusieurs années que le projet a été mis en place. Aujourd’hui, le projet intègre 11 enfants. Et nous avons effectivement constaté que leurs compétences se développent de manière significative. Par ailleurs, affectivement, il est important qu’ils soient intégrés dans la société. Cela fonctionnne tellement bien que les écoles françaises ont suivi la même voie. Là encore, Seaska a été précurseur. Globalement, il est vrai que les ikastola ont toujours été actrices dans la vie sociale du Pays Basque Nord. C’est sans doute positif, parce que cela aide à créer une conscience collective, en montrant que les citoyens peuvent être acteurs de leur vie. Cela peut faire naître une force pour le développement du Pays Basque, non seulement au niveau de la langue, mais aussi au niveau économique ou culturel. Au bout du compte, la préoccupation de la langue peut être vue comme une motivation pour vivre au Pays Basque Nord. Et pour vivre ici, il faut gagner de l’argent, construire une richesse, créer des entreprises… En bref, je coirs que la langue est un moteur pour le développement global. Si l’on veut élever ses enfants en basque, leur faire suivre leurs études à l’ikastola, on ne peut pas vivre ailleurs, donc on doit travailler sur place, trouver un emploi, et s’il n’y en a pas, créer son propre emploi. De la même manière, pour ne pas que la langue basque meure, on sait qu’il faut que la jeunesse reste ici, qu’ils trouvent du travail ici.

Tout de même, si l’on regarde le nombre de locuteurs du basque, il y a de quoi être pessimiste. Seulement 2% des jeunes de Bayonne, Anglet et Biarritz utilisent le basque… Si on continue ainsi, en 2030 seulement 5% de la population globale maîtrisera l’Euskara… Nous sommes loin du moteur de développement, n’est-ce pas ?

C’est un moteur, mais le problème, c’est que nous avons tout un train à tirer (rires). Toujours est-il que la situation est inquiétante, c’est indiscutable. Il est indispensable de créer et de développer une politique linguitsique globale, ainsi que des moyens, avant que le moteur ne rende l’âme. Herri Urrats.

Même dans le modèle d’immersion, les élèves passent très facilement au français…

Ils vivent dans un environnement français. La télévision, l’entourage… Souvent, même leurs parents ne parlent pas basque. Ils entendent le français partout, il est donc normal qu’ils y glissent. De ce point de vue, nous mettons justement en place plusieurs projets pour motiver les enfants à parler basque. Nous devons donner une valeur sociale à la langue basque. Nous devons également parvenir à en faire une langue affective.

Une question un peu provocatrice : D’après ces chiffres pessimistes, le travail de l’ikastola, plutôt que de sauver l’euskara, n’est-il pas de gérer sa mort ?

Pour l’État Français oui, je pense qu’il s’agit d’une simple gestion de sa mort. Mais nous, nous avons besoin d’une politique positive pour gérer sa vie et son développement, non pas d’une politique minimaliste. Nous ne devons pas nous limiter à répondre à la demande sociale, nous devons également la précéder. L’Euskara doit être partout, dans toutes les écoles, de la maternelle au lycée.

À propos de demande sociale, 56 % des parents veulent que leurs enfant apprennent le basque, quelle valeur donnez-vous à ce chiffre ? Il semble que l’image de la langue basque ait évolué, avant on en parlait de façon très négative…

Il y a beaucoup de contradictions. Les parents veulent que leurs enfants apprennent le basque. Or, beaucoup n’ont pas suffisamment de conscience pour savoir qu’il ne suffit pas d’apprendre la langue à l’école primaire. Pour bien maîtriser le basque, il faut qu’ils continuent jusqu’au lycée, surtout pour être capables de le transmettre à leurs petits enfants. Ils ont un attachement affectif, mais pour renforcer leur conscience il faudrait qu’ils intellectualisent ce lien. Or la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Et dans le fond, on ne les aide pas à intellectualiser. De plus, nous devons faire face à un autre problème. En effet, selon les enquêtes, les jeunes considèrent la langue basque comme quelque chose de dépassé. C’est la langue de leurs grands-parents, et ils l’associent souvent à l’agriculture. Il est donc nécessaire de moderniser son image. Nous devons intégrer la langue basque dans la vie quotidienne des gens. Les campagnes de communication ne suffisent pas. Nous disons aux gens qu’ils doivent apprendre et parler l’Euskara. Mais s’ils n’ont pas l’occasion de l’utiliser dans leur entourage, à quoi bon ! C’est un problème d’utilité. Nous intégrons l’Euskara dans la journée « glisseguna » que nous organisons à Anglet. L’objectif est de l’intégrer dans les domaines des jeunes, en leur donnant l’occasion d’apprendre les sports de glisse en Basque. Nous devons changer les choses avec des actions concrètes, communiquer ne suffit pas.

L’année dernière Seaska fêtait ses 35 ans. Globalement, que pensez-vous du chemin qui a été fait jusqu’à présent ? Je pense que Seaska a construit un modèle général et cohérent. Ce modèle à été mis en place de la maternelle au lycée. Pour définir et développer une politique linguistique, Seaska est la référence la plus importante. En plus d’être un système complet, nous évaluons chaque année nos résultats. Notre objectif de refaire vivre la langue basque dans le Pays Basque Nord est atteint. Les élèves qui sortent de l’ikastola sont de vrais basques. Il ne nous reste maintenant plus qu’à développer davantage notre modèle. C’est notre plus grand défi.
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