Jocelyne Verret. Québécoise et bascophone: Le basque est à la fois un trésor et une fenêtre, pour moi

2004-12-03

BASAGUREN URIARTE, Ziortza, BLAZQUEZ, Kepa, HARLOUCHET, Xabier, MONTOYA, Aitor, ORBEGOZO ZIGARAN, Mireia, RODRÍGUEZ, Urko, USEREAU, Michel, VERRET, Jocelyne

Dans la rubrique Kosmopolita nous avons déjà eu l’occasion de présenter quatre jeunes québécois(es). Leur expérience avait été publiée pour la simple et bonne raison qu’ils parlaient le basque ! Dans le texte qui suit, d’un côté, les lecteurs bascophones auront plaisir à voir comment une autre québécoise Jocelyne Verret parle le basque ! De l’autre, les lecteurs non-bascophones trouveront d’excellentes raisons pour commencer ou continuer à étudier le basque ! Nous vous souhaitons une très bonne lecture !

Présentation

Née au Québec, Jocelyne est allée vivre à Pampelune il y a huit ans. C’est là qu’elle a appris le basque. Après y avoir connu et apprécié le Pays Basque sur ses versants Nord et Sud, elle est revenue à Montréal au printemps de cette année et déjà, elle commence à avoir le mal du pays...

Comment as-tu appris le basque?

J’ai commencé à apprendre par moi-même, avec la méthode Bakarka. Après avoir terminé le premier volume, je me suis inscrite à l’euskaltegi (école de basque pour adultes) public, à Pampelune. J’y ai étudié pendant trois ans: j’allais en classe le matin et, rentrée à la maison, je sortais grammaire, dictionnaire et notes et j’étudiais. La troisième année, une professeure de l’institution, qui voulait pratiquer le français, m’a proposé de faire un échange: il s’agissait de nous réunir et de parler une heure en basque et une heure en français. Nous étions tour à tour élève et professeur. Ça m’a énormément aidée à l’oral. En fait, en dehors de l’euskaltegi, à Pampelune, il n’y avait pas beaucoup d’occasions de parler basque. La plupart du temps, dans la rue, je n’avais d’autre choix que d’utiliser l’espagnol. J’ai vraiment profité de mes conversations avec cette professeure exceptionnelle. J’ai dit “professeure”, mais elle est aussi devenue une amie; c’est avec elle que je me suis habituée à utiliser le régime particulier du tutoiement en basque. Même après avoir quitté l’euskaltegi et ce, jusqu’à mon retour ici, nous avons continué à nous rencontrer chaque semaine et à utiliser les deux langues.

J’ai trop souvent entendu dire que le basque est une langue difficile. À force de le répéter, on effraie les gens; je soupçonne que ça les décourage d’apprendre... De toute façon, je crois que l’apprentissage d’une langue n’est jamais terminé. Pas même celui de la langue maternelle! Jocelyne. Maule.

Pourquoi as-tu appris le basque?

Avant de partir vivre au Pays Basque, je connaissais la situation politique, sociale et linguistique qui y prévalait et j’étais bien décidée à apprendre le basque. Je dois avouer que j’étais un peu ingénue, puisque je m’étais imaginé que j’allais commencer dès mon arrivée à étudier la langue. Si j’étais allée vivre dans un petit village du Baztan, j’aurais peut-être pu le faire. Or, je me suis vite rendu compte de ce qu’on appelle la diglossie, à Pampelune: il n’y a pas moyen d’y fonctionner sans utiliser aussi - et surtout...- le castillan. J’ai donc commencé par apprendre l’espagnol. Je pouvais lire, mais je m’exprimais difficilement. On offrait alors un cours d’espagnol gratuit pour les immigrants. Il est inutile de préciser que l’équivalent n’existait pas en basque... Je me suis donc accommodée, au début, d’une méthode que j’utilisais à la maison, jusqu’à ce que je m’inscrive à l’euskaltegi. Apprendre l’euskara a été une marque minimale de respect envers le peuple qui m’a accueillie. Si nous demandons aux immigrants de vivre en français au Québec (quoique depuis mon retour j’entende parler anglais partout, ce qui n’est pas très rassurant...-), alors au Pays Basque, la moindre des choses que je pouvais faire, c’était de vivre en basque. Et si j’avais vécu en Bretagne, je l’aurais fait en breton...

À vrai dire, ça a aussi été un défi personnel. Deux années auraient suffi pour être capable de vivre en basque mais, voyant que la plupart des élèves visaient le diplôme EGA (Certificat d’aptitude en basque, qui est exigé pour certains postes dans l’administration publique et dans l’éducation), je me suis dit que moi aussi je pouvais le faire, même si ça ne me servait pas à grand-chose. En effet, n’ayant pas accès à ces postes, ce diplôme n’allait pas m’apporter d’avantages tangibles. Mais l’euskaltegi était devenu en quelque sorte une famille pour moi et j’avais envie de continuer; c’est ainsi que j’ai passé la troisième année à plancher, comme on dit, pour préparer les examens.

Que t’a apporté la langue basque?

Le basque est à la fois un trésor et une fenêtre, pour moi. Un trésor, parce que malgré tous les efforts des bascophiles, cette très ancienne langue qui a survécu jusqu’à aujourd’hui est encore en péril. Un trésor au sens où elle a gardé en son sein une culture et des traditions séculaires qu’elle véhicule, une façon unique d’appréhender l’univers. C’est pour moi un privilège que de prendre part à la sauvegarde de ce trésor.

Et puis le basque, c’est aussi une fenêtre qui ouvre sur une manière de comprendre le monde actuel. Une fenêtre par laquelle je suis entrée dans la société basque.

Qu’est-ce qui te plaît/déplaît au Pays Basque?

Il est difficile de répondre à cette question sans recourir aux lieux communs habituels. Je pourrais mentionner les magnifiques montagnes qui font partie du paysage quotidien, l’émotion que me causent les Zanpantzars, ou l’admiration que je ressens pour le courage des Basques qui doivent se battre pour garder leur identité... C’est vrai. Je pourrais aussi dire que les Basques sont sérieux, orgueilleux et même un peu fermés, parfois... Mais est-ce bien vrai? Comment la société qui m’a accueillie pourrait-elle être fermée? Quant au sérieux et à l’orgueil, ils sont pas mal atténués par le sens inné de l’humour qu’ont les Basques et, surtout, cette facilité qu’ils ont à se moquer d’eux-mêmes. Je reconnais là quelque chose de familier; au Québec aussi, nous rions volontiers de nos travers: serait-ce une tentative d’alléger le fardeau de nos luttes, d’oublier un peu que nous sommes toujours minoritaires?

La société basque est plurielle. Je choisis le meilleur de cette pluralité.

La plupart des immigrants ont tendance à idéaliser ce qu’ils ont laissé derrière eux. Là-bas, c’était parfois le bonheur, et parfois la nostalgie. Maintenant, la situation est inversée. J’ai passé une partie de ma vie au Pays Basque et depuis mon retour au Québec, c’est ce que j’ai connu là-bas qui me manque: le mal du pays, encore...

Quels sont les points communs et les différences entre le Pays Basque et le Québec?

Dans la vie courante de tous les jours, je n’ai pas perçu de grandes différences. Si l’on met de côté les horaires des commerces, la façon de griller les poivrons et autres détails sans importance, je dirais que le niveau de vie est semblable ici et là-bas. Il y a bien eu, au début, un sentiment d’étrangeté. Quoique je ne sois pas certaine qu’il s’agisse d’une différence entre le Pays Basque et le Québec. Je pense parfois que c’est une distance plus générique, entre l’Europe et l’Amérique. Les façons de faire, en général, me semblaient compliquées pour rien, pleines de détours et j’avais le sentiment qu’en Amérique, on faisait les choses plus directement, plus simplement. J’en rendais responsable le poids des traditions dans ce que l’on appelle “les vieux pays”. Et pourtant, à mon retour ici, quand il a fallu que je me réinstalle dans mon propre pays, les choses m’ont paru au moins aussi compliquées qu’il y a huit ans quand je me suis installée à Pampelune! Comme quoi on ne se méfie jamais assez des idées reçues...

D’autre part, les conflits politiques sont exacerbés au Pays Basque. Ici aussi, nous savons ce qu’est l’oppression nationale (ceux qui veulent s’en rendre compte, du moins...), nous connaissons l’aspiration à l’indépendance, les états centralisateurs et même la lutte armée. Mais pas de façon aussi brutale. À titre d’exemple, j’ai vu dans une manifestation en faveur de l’euskara presque autant de policiers que de manifestants, les premiers le visage couvert d’une cagoule et la mitraillette à la main... Mireia, Jocelyne & Kepa.

En ce qui concerne la langue, et ici je me réfère à la situation en Hegoalde, après avoir vécu quarante ans sous une dictature où le basque était interdit, la chaîne de transmission familiale s’est rompue dans beaucoup de familles. Sous cet aspect, on peut difficilement comparer leur situation avec la nôtre: ici, nous apprenons le québécois dès le berceau et le français est langue officielle. Il faut aussi tenir compte de l’aire de diffusion du basque, qui couvre un territoire infiniment plus petit et compte peu de locuteurs. Chez nous, au contraire, même si nous sommes assiégés par l’anglais en Amérique du Nord, le poids de la France, de la Belgique et de la Suisse au niveau international assure à notre culture, même avec toutes ses particularités, une possibilité de rayonnement.

Puisque j’ai mentionné le statut de langue officielle, on ne peut passer sous silence l’attitude du gouvernement navarrais. Au lieu de traiter sa langue comme un héritage collectif et de la protéger, l’administration de ce territoire historique, qui est le berceau du basque, s’efforce de la marginaliser. Si l’on considère le Pays Basque dans son ensemble, la situation paraît inextricable: il est divisé en deux communautés autonomes au Sud et noyé dans un département au Nord. Il semble extrêmement improbable que les Basques puissent obtenir de trois administrations différentes ce que la population québécoise dans sa grande majorité considère comme allant de soi: le statut officiel du français et la Loi 101, qui le protège (encore qu’elle ait perdu quelques dents, mais ce n’est pas le lieu d’en parler ici...).

Mais pour bien mesurer toutes ces différences, bien sûr, il nous faudrait étudier nos histoires respectives... Jocelyne. Sorogain.

Comment peut-on rester bascophone au Québec?

J’ai peu de contacts directs avec le Pays Basque, si ce n’est par le biais de la poste et d’Internet. Je corresponds avec l’amie dont j’ai parlé plus haut mais cela ne remplace pas, bien sûr, nos conversations en tête à tête... Je n’oublie pas non plus mes anciens élèves, ceux à qui je donnais des leçons particulières de français. Il y a aussi le groupe de lecteurs dont je faisais partie; je continue à être membre... virtuelle! Je lis les mêmes livres qu’eux et grâce au courrier électronique, nous pouvons partager nos commentaires. Encore une fois, nos soupers et les conférences des écrivains invités me manquent.

En général, je me tiens informée des nouvelles de là-bas via l’édition électronique du quotidien Berria, les revues digitales et les sites Internet. Jusqu’à tout récemment, donc, j’ai gardé contact essentiellement par le biais de l’écrit. J’avais peur d’oublier le basque, à l’oral du moins. J’ai eu une agréable surprise lorsque j’ai connu l’Association des Basques du Québec (www.euskaldunakquebec.com), où se rencontrent des gens d’ici et de là-bas pour organiser différentes activités culturelles et même des cours d’euskara. C’est une très belle occasion de resserrer le contact avec le Pays des Basques, en basque!
Partekatu
Facebook Twitter Whatsapp

AURREKOAK

Soko Romano. Ontzi Museoko zuzendaria: Museoak organismo bizia izan behar du, etengabe mugitzen aritu

 

Irakurri

Jakes Casaubon. Ikerlea: Ni naiz ikerle xume bat, euskal kultura maite dut, ene bizi guzia hortan lehiatzen naiz, bainan egiten dut apalki

 

Irakurri

Javier Zuriarrain. Bide Azpiegituretarako diputatua: Mugikortasuna, joan-etorrietarako erraztasuna eta komunikazioa funtsezko faktoreak dira bizi-kalitatea neurtzeko

 

Irakurri

Laura Mintegi. Idazlea: Askotan, sufritu egiten da idaztean, norberaren barnea arakatu behar delako eta gauza mingarriak topatzen direlako

 

Irakurri

Oscar Álvarez Gila. Historian doktorea eta Ameriketako Historiako irakasle titularra Euskal Herriko Unibertsitatean: Diasporarena, ezezaguna zaigunaren exotismoa eta ondo ezagutzen dugunak ematen digun ziurtasuna konbinatzeko aukera ematen digun gai gutxietako bat dugu

 

Irakurri