Maddi Irigoyen. Scientifique et militante culturelle basque à Paris: Gernika était un groupe dans lequel, après les années 68, il y avait pas mal de jeunes du Pays Basque sud ; à un certain moment, il y en avait autant du Sud que du Nord, on se trouvait bien à la Maison Basque

2006-01-06

ETXEZAHARRETA, Lucien

ETXEZAHARRETA, Lucien

Née à Bayonne en 1946, elle vit à Paris où, après des études d’ingénieur à l’Ecole Centrale de Paris, elle réussit un doctorat de Mathématiques puis est devenue Maître de Conférences de Mathématiques dans les Universités Paris II et VI. Elle a obtenu également un D.E.A., Diplôme d’Etudes Approfondies de Mécanique Céleste et Astronomie. Depuis les années Soixante, elle mène une activité associative variée dans la Maison Basque de Paris, rue Duban et, depuis son transfert, aujourd’hui à Saint Ouen. Membre d’associations d’étudiants elle participa aux groupes de chant et de danse de l’ensemble Gernika. Elle en dirigea la chorale à partir de 1981, pendant 20 ans. Elle fut vice-présidente d’Euskal Etxea lors de la période du déménagement, jusqu’en janvier 2005 et elle fait toujours partie de son Comité Directeur. Elle est cofondatrice du Comité Lokarria en 1990, à Paris, une association humanitaire d’aide aux prisonniers basques et à leur famille et en fut la présidente quelques années. Musicienne, elle joue dans l’Orchestre Universitaire de Jussieu depuis 30 ans et elle en est le Premier Violon. Avec Michel, son mari, ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Saint Cloud, actuellement professeur de philosophie au Lycée basque Bernat Etxepare de Bayonne, elle a un fils, Amadeo, 27 ans, agrégé de Mathématiques. Enseignement et Recherche

Ce goût pour les Mathématiques vient-il de l’école ?

Ce n’est pas un coup de foudre : au lycée, j’étais comme on dit encore, « bonne en maths » et donc mes professeurs, ma mère aussi, m’ont dirigée dans cette direction, alors que je faisais aussi de la musique, de manière assez poussée par ailleurs, mais c’est plutôt l’orientation scientifique qui l’a emporté et donc, après la deuxième partie du Baccalauréat, je suis passée par les Classes Préparatoires, Mathématiques Supérieures, Mathématiques Spéciales, pour préparer les concours, j’ai réussi celui de l’Ecole Centrale. J’ai été un peu sur un rail, mais j’aimais la science et les mathématiques et j’ai continué dans cette voie-là.

Ce qui a mené au poste d’enseignante à l’Université…

A la suite de cette Grande Ecole, j’ai fait un DEA, le cursus habituel, à l’époque, d’une Thèse de Troisième Cycle et, d’Assistante de Mathématiques, je suis devenue Maître-Assistante, ce qu’on appelle aujourd’hui Maître de Conférences, de manière naturelle.

Comment se cumulent les fonctions d’Enseignement et ceux de la Recherche, comme il est d’usage à l’Université ?

A l’Université, les enseignants sont en réalité, presque tous, « enseignants chercheurs », c’est à dire que, normalement, la moitié de mon activité consiste à enseigner et, l’autre moitié à « faire de la recherche », d’un mot un peu pompeux. A des étudiants d’Economie, je dispense des cours de Mathématiques et, pour la recherche, je suis dans une équipe de Paris VI à Jussieu, dans le domaine des Systèmes Dynamiques et Equations Différentielles. Là, les relations sont facilitées, parce qu’il y a beaucoup de collègues travaillant dans des domaines proches et on fait des groupes cohérents.

Depuis une quarantaine d’années où vous travaillez dans ce domaine, les approches sont-elles nouvelles et l’enseignement évolue-t-il ?

Plus que l’enseignement, je dirais que c’est davantage la population des étudiants qui a évolué. Quand j’étais jeune assistante, c’était juste après 1968, c’étaient des amphis et des groupes de Travaux Dirigés qui bougeaient, qui contestaient, qui étaient assez dynamiques, vivants. Peu à peu, je trouve que les amphis d’étudiants sont plus soumis, dans un climat d’incertitude qui n’est pas le même que celui des années 70. Les étudiants ont changé.

L’enseignement des Mathématiques a-t-il toujours le même contenu, avec les mêmes problèmes fondamentaux ?

Pour nos étudiants en Economie, les enseignements que l’on dispense n’ont pas beaucoup évolué. Les programmes ont un peu bougé, car les outils que ces étudiants ont besoin sont en gros les mêmes, en dehors du fait que ce qui est résolution numérique sur ordinateur a fondamentalement changé en quarante ans. Dans l’enseignement d’aujourd’hui, l’ordinateur intervient de manière très centrale.

Les Mathématiques interviennent beaucoup dans l’Astronomie…

De manière centrale. Quand j’étais dans cette Grande Ecole, on discutait assez souvent de ça avec Michel, mon futur mari, c’est lui qui m’y a intéressé, notamment les connaissances astronomiques des Grecs Anciens. Une fois sortie de cette école d’ingénieurs, où je ne me suis pas beaucoup plu, ça m’a donné envie d’aller vers l’Université faire un DEA, puis une Thèse de Troisième Cycle et enfin une Thèse d’Etat, dans le domaine de la Mécanique Céleste et de l’Astronomie. J’ai travaillé plus particulièrement dans ce qu’on appelle « le Problème des Trois Corps », c’est à dire le problème qui a été posé au tout début par Newton lorsqu’il a fondé, en même temps que Leibniz, le calcul différentiel, celui du problème de la description des mouvements de trois corps célestes qui s’attirent selon la Loi de l’Attraction Universelle et qui est un problème, dont on a démontré qu’il est « non intégrable », qu’on ne peut donc pas espérer résoudre mathématiquement de manière complète, comme on a fait pour celui des « Deux Corps », qui est le problème de Kepler. Je me suis intéressée à ce problème des Trois Corps dans ma Thèse de Troisième Cycle, puis j’ai continué avec ma Thèse d’Etat, en abordant les choses de manière plus mathématique. Ça m’a amenée ensuite à m’intégrer dans une équipe de recherche de Paris VI dans laquelle je travaille de manière plus large et mathématique sur les Systèmes Dynamiques, les Equations Différentielles au sens large et la non intégrabilité de certains de ces problèmes.

On a l’impression que beaucoup d’incertitudes ont été levées avec les puissants outils de calcul actuels : y a-t-il encore beaucoup de secrets à percer dans ces mouvements de l’espace?

C’est certain que les outils de calcul actuels, extraordinaires et dont on ne pouvait pas imaginer la puissance, il y a quarante ans, ont permis, notamment dans le domaine de l’astronautique, de lancer des programmes très ambitieux et de résoudre numériquement des problèmes qu’on ne saura jamais résoudre mathématiquement. Du point de vue pratique de ces applications, les outils informatiques et de calcul permettent des résolutions et des « évidences numériques », des quasi certitudes sur l’existence et la forme de certaines solutions, mais sur le plan strict des démonstrations mathématiques, le problème reste entier. Ce sont deux choses qui marchent en parallèle, qui s’épaulent, mais restent distinctes.

On ne peut donc imaginer de solution mathématique : l’approximation suffit donc ?

Une approximation qui est très précise, très utile, mais la démonstration de non intégrabilité avait déjà commencé avant Henri Poincaré. Celui-ci, à la fin XIXème, a établi des démonstrations de non possibilité de les résoudre mathématiquement. Une activité incessante de soutien à la Culture basque

Paris a joué un rôle important dans votre rencontre avec le monde de la culture basque et en particulier, Euskal Etxea, la Maison des Basques de Paris.

Ce monde, je l’avais déjà rencontré ici. Je suis partie à Paris au moment de la pré-adolescence car, après des problèmes familiaux, ma mère a dû travailler et est partie à Paris. Mais je revenais toujours en vacances ici et j’ai toujours gardé le contact. Au bout de quelques années, j’ai connu la Maison basque où là, je me suis vite investie dans le groupe de chant et danse Gernika. Il y avait aussi une Commission Sociale qui fonctionnait où j’ai connu un certain nombre de compatriotes et un groupe d’étudiants, animé et construit par Michel Irigoyen, qui est devenu mon mari. J’ai participé à ce groupe tout naturellement, nous étions une trentaine d’étudiants basques, un ensemble assez dynamique à l’époque, on avait diverses activités, on organisait en Pays Basque des voyages d’étude de l’autre côté de la frontière, à l’Université de Saint Sébastien, à la fin des années 60. C’était un groupe bien soudé.

Gernika était un groupe dans lequel, après les années 68, il y avait pas mal de jeunes du Pays Basque sud : ils venaient à Paris, beaucoup pour des études de sociologie à Nanterre, c’était la grande mode après 1968. A un certain moment, dans Gernika, il y en avait autant du Sud que du Nord. J’ai de bons souvenirs de cette époque, on se trouvait bien à la Maison Basque et en particulier dans ces groupes de jeunes.

La rencontre et parfois la confrontation avec aussi des jeunes qui étaient des réfugiés politiques s’est passée comment ?

Assez bien. A la Maison basque, à cette époque, et encore aujourd’hui, il y avait des exilés de la Guerre Civile, des gens comme Patxi Iturrioz ou Ramon Arresta dont je me souviens, des exilés de la première génération. Ensuite, au cours des années 70, on a vu arriver, peu à peu, des exilés de l’ETA qui venaient à Paris, ça se passait bien. C’était naturel qu’ils viennent à Euskal Etxea, qu’ils viennent en particulier participer aux activités de Gernika, il y avait vraiment une bonne ambiance qui n’avait rien à voir avec ce qu’on a pu connaître ensuite à la fin des années 70, début 80.

Ce monde basque de Paris a toujours fonctionné par clans, les souletins, les garaztars, ceux de la Côte. Fallait-il avoir une attitude de conciliateur entre ces groupes parfois opposés ?

A la Maison Basque, il y avait, il y a un peu encore, des sous-communautés. Par exemple, à Gernika nous avions des membres que certains appelaient des « espagnols ». Ce n’était pas toujours bien perçu par les Basques de « l’intérieur profond », c’est peut-être pour cette raison, sans vouloir incriminer quiconque, qu’au milieu des années 70, il y a un groupe de danse qui s’est créé, le groupe Gazteriak, qui était exclusivement consacré aux danses bas-navarraises, avec des bas-navarrais. Ensuite, ce groupe a étendu son répertoire et il continue. Pour les souletins, il y avait une association souletine, en fait l’association la plus ancienne de Paris, « Eskualduna » créée en 1912, où il y avait surtout des souletins à cause de la forte émigration vers Paris du début du XXème. Ceux-là aussi formaient une sous-communauté : ils organisent encore un repas annuel, chaque été, en Pays Basque.

Le transfert d’Euskal Etxea de la rue Duban du 16ème arrondissement de Paris à Saint Ouen ne fut pas toujours bien perçu : aujourd’hui peut-on dire que ce fut le bon choix ?

On a bien fait de déménager : depuis longtemps on l’envisageait parce que dans les années 90, dans le voisinage de la rue Duban, un des quartiers les plus chics de Paris, très résidentiel, les voisins se plaignaient du bruit, bien souvent à juste titre. Rue Duban nous étions propriétaires des locaux, un immeuble de 400 m2 au sol, dans le quartier de Passy, une vraie fortune. On envisageait de vendre et d’acheter ailleurs, un immeuble plus fonctionnel, bien situé. A cette époque, le Président Louis Domecq s’est beaucoup dépensé, avec Jacques Broca le trésorier et Jean Marie Gezala le vice-président : ils ont visité une quarantaine d’immeubles pouvant devenir notre nouvel Euskal Etxea, dans Paris et la ceinture proche. Chaque fois il fallait emprunter pour les travaux entre un et deux millions d’euros.

Enfin, il y a eu cette possibilité de cette ancienne usine de matériel électrique de Saint Ouen, la banlieue, mais à 600 mètres de Paris, avec le Métro à 50 mètres, un lieu pratique et facile d’accès. Là on pouvait, en vendant l’ancienne maison, acheter et faire des travaux pour adapter. On dispose ainsi d’une surface double, deux grandes salles, beaucoup plus de chambres pour le « foyer », c’est à dire destinées aux jeunes basques qui viennent à Paris où ils ont un point de chute et peuvent se loger dans des conditions agréables : ce sont des chambres aux normes CROUS des chambres d’étudiants. On a aussi une cour intérieure, plusieurs bureaux, des salles de cours pour les classes de basque de Sustraiak-Erroak. Ce sont des lieux très adaptés. Le déménagement a été quand même une grosse histoire, les travaux ont duré plusieurs mois avant qu’on puisse ouvrir la maison et faire des fêtes, c’est à dire faire entrer un peu d’argent. La Commission de Sécurité n’a pas tout de suite donné d’autorisation d’ouverture et il a fallu faire des travaux complémentaires. Puis, peu à peu, on a redémarré après une année difficile avec un fort déficit d’une centaine de milliers d’euros.

Dans les activités qui, maintenant, ont repris, il y a quelques points forts dans l’année, des fêtes qui rassemblent pas mal de monde, la kermesse qui est traditionnelle en mars, un Carnaval en février, une fête pour les « anciens » qui rassemble plus de 150 personnes. Cette année, pour la première fois, on a organisé une Journée de la Navarre de Paris, en décembre qui a eu un grand succès, les gaiteros de Pampelune sont venus ainsi que la Jarauta 69.

A propos des objectifs de cette Maison Basque de Paris, on a parlé de « Centre Culturel », d’une « Ambassade » du Pays Basque… Avez-vous pris quelque option pour le futur ?

Il y a toujours l’option d’une animation culturelle au sens large. Il faut noter aussi que certaines orientations sont relayées et prises en charge par les différentes associations partenaires d’Euskal Etxea. La Maison Basque, qui est une grosse Association est organisée avec sept ou huit associations partenaires, parties prenantes dans le Comité Directeur, mais qui ont des activités propres. Par exemple, Sustraiak-Erroak a son activité propre d’organiser des cours, comme AEK ici, elle organise aussi des conférences en faisant venir des personnes du Pays Basque. Elle participe donc à cette animation culturelle en dehors et en collaboration avec Euskal Etxea. Il y a aussi des spectacles plus orientés vers le chant et la danse qui sont pris en charge par Gazteriak par exemple qui a fêté ses trente ans cette année et qui a, à cette occasion, fait venir divers groupes folkloriques. Gernika aussi a fait des échanges avec une chorale anglaise. L’Association Lokarria a organisé en janvier avec Michel Berhocoirigoin une soirée sur la création de la Chambre d’Agriculture. C’est donc une animation culturelle au sens large.

Votre engagement dans Lokarria, dans l’action humanitaire en faveur des prisonniers basques et de leurs familles a certainement été mal jugé par certains. Pourquoi cet engagement, au risque, peut-être, de diviser les groupes où vous étiez ?

Ce risque n’existait peut-être pas : à la fin des années 80, j’en ai parlé au Pays Basque avec des amis. A Paris, autour d’Euskal Etxea, on voulait organiser quelque chose autour de ce soutien aux prisonniers et à leurs familles. Il y avait un « Comité Euskadi » qui existait pour la défense des prisonniers inculpés dans les dossiers ETA, mais rien d’équivalent pour ceux d’Iparretarrak. On a voulu monter quelque chose autour de cette option. Finalement, c’est en 1990 qu’on l’a monté. Au début, nous formions une association indépendante d’Euskal Etxea, puis, rapidement, on a commencé à organiser des fêtes de soutien, d’abord en dehors de la Maison Basque, puis ensuite j’ai demandé l’autorisation d’en organiser une, ça s’est bien passé. On a organisé, ensuite, pour la première fois, en collaboration avec le Comité Euskadi, un Aberri Eguna, en avril 91. L’aumônier d’Euskal Etxea de l’époque, Marcel Tilhous, nous a aidés, disant qu’il allait y participer naturellement : ça a convaincu des gens qui, peut-être, ne l’auraient pas été, de la possibilité d’organiser cet événement. Certains ont été quand même réticents, disant « qu’on ne fait pas de politique à Euskal Etxea », mais pendant plusieurs années, ça s’est bien passé. Au bout de quelque temps, les Statuts ayant évolué et puisqu’il était prévu qu’il y ait des Associations partenaires, nous avons demandé que Lokarria en fut. Nous avons été très bien accueillis, aussi bien par les autres associations que par le président Domecq, dans le cadre de l’action sociale au sens large. Il n’y a pas eu de problème institutionnel, même s’il y a toujours des gens qui grognent dans un coin. Mais on connaît bien ça aussi au Pays Basque…. Lokarria organise plusieurs fêtes dans l’année. Des groupes de musique folk et autres sont invités. On organise aussi des repas de soutien. Les bénéfices de ces fêtes sont envoyés aux associations comme la CAR, Ahaideak ou Lagundu qui s’occupent directement de ce soutien. L’an dernier nous avons participé à la campagne de pétitions pour la liberté conditionnelle de Filipe Bidart et, lors d’un week end des associations en novembre dernier, on a demandé de signer : quelques personne sont réagi assez violemment contre ça, il y a eu cette difficulté mais les choses se sont aplanies depuis. A la longue ces gens-là aussi peuvent évoluer et comprendre que quand on fait de l’humanitaire, on touche à des domaines leur apparaissant comme politiques. A Euskal Etxea on reçoit bien des subsides venant du Gouvernement Basque qui est un gouvernement abertzale : alors on fait de la politique en acceptant cet argent ? On peut en discuter.
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