Gabriel Mouesca. Écrivain: L’abertzalisme, dans le fond, est un bien universel

2012-02-03

PIERRE, Thomas

PIERRE, Thomas

Gabriel Mouesca, dit Gabi, est né en 1961 à Bayonne. Il est l’un des leaders historiques de l’organisation abertzale Iparretarrak et un militant connu pour ses luttes anticarcérales. Gabi Mouesca a passé 17 ans en prison pour ses activités au sein d’Iparretarrak. Ayant mis 16 ans à le juger, la France est condamnée par deux fois pour violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. De 2004 à 2009, il préside l’Observatoire International des Prisons (OIP). Gabriel Mouesca est aujourd’hui chargé de mission “prisons” pour Emmaüs France et travaille sur la question de la réinsertion des sortants de prison. Il milite par ailleurs au mouvement Autonomia Eraiki pour l’obtention de la reconnaissance institutionnelle du Pays basque nord. Gabi Mouesca répond ici aux questions de Thomas Pierre, anthropologue et membre de la Société d’Etudes Basques, Eusko Ikaskuntza. Il témoigne ici de son regard sur l’actualité d’Iparralde (Pays basque nord).

Gabi Mouesca, vous êtes considéré comme une personnalité incontournable du paysage politique d’Iparralde. A ce titre et, pour commencer, quelle analyse faites-vous de l’évolution du rapport à la langue et à la culture basque en Iparralde entre vos premières années de militant engagé et la situation actuelle ? Comment analysez-vous l’évolution de la société basque ?

Il est évident que l’on enregistre une évolution notable sur le plan de l’euskara. Il y a eu une normalisation de l’euskara. Elle n’est plus cette langue symbole de passéisme ou diabolisée. La réussite de Seaska et la prise en compte de notre langue par les filières privées et de « l’éducation nationale » démontrent bien que nous sommes sortis du trou noir dans lequel Paris a, durant deux cent ans, essayé de nous plonger pour nous y perdre. Mais la reconnaissance officielle — avec les moyens qui y sont liés — de l’euskara, l’accès à un statut de langue officielle, n’est toujours pas d’actualité. C’est l’objectif à atteindre dans les meilleurs délais.

Par ailleurs, on voit bien que les éléments les plus populaires de notre culture — chants, danses... — sont adoptés par le plus grand nombre avec enthousiasme. Pas une fête populaire, pas un rassemblement festif sans qu’il n’y ait l’empreinte de notre culture. Et ce phénomène va croissant, et bien au-delà de notre territoire historique. Mais notre culture n’a pas la reconnaissance des « officiels » et doit encore son essor, sa vivacité, à des militant(e)s, des bénévoles. Il faut là encore que justice nous soit rendue et que notre culture ait les moyens de son développement pour échapper à ce qui — parfois — peut ressembler à des manifestations folkloristes dans lesquelles notre culture est utilisée avec un certain manque de respect, pour ne pas dire un manque certain de respect.

Gabriel Mouesca, Gabi, est né en 1961 à Bayonne.

Photo: Le Journal du Pays Basque-Euskal Herriko Kazeta

Quant à la société basque en Iparralde, elle est à l’image de notre monde moderne, c’est-à-dire qu’elle a mille visages et subît mille influences. On constate en particulier le phénomène de plus en plus marqué d’une fracture culturelle entre le Pays basque intérieur et la dite côte basque. L’arrivée permanente sur notre territoire de gens d’origines diverses, auxquels n’est pas proposée une intégration sur la base de notre corpus culturel, provoque un accroissement du phénomène de bipolarisation entre Basques et non Basques. Et bien sûr, cela provoque un sentiment de minorisation accéléré, doublé d’un sentiment d’injustice vécu par les Basques. Pour l’instant, l’intégration des allogènes dans une société basque en construction est un échec, car les décideurs nient l’existence même d’une société basque, nient la richesse et le potentiel de développement que peut et doit apporter notre culture dans un projet commun partagé par l’ensemble de celles et ceux qui vivent et travaillent en Iparralde. Voilà le problème majeur que nous rencontrons. Ce présent qui nie notre existence. Ce présent qui nous balaie, nous dégage de l’Histoire. Mais si mon constat peut sembler marqué du sceau d’un fort pessimisme, il n’empêche que je suis fondamentalement habité d’une grande espérance. Je suis en effet convaincu que dans un avenir proche, notre capital culturel et notre ambition nationale et sociale seront les bases en Iparralde d’un renouveau fécond.

Ces vingt dernières années, il était de bon ton de dire que les activités d’ETA constituaient l’un des freins majeurs à la reconnaissance institutionnelle du Pays basque nord. Que pensez-vous de cet argument ? Comment voyez-vous l’avenir de la revendication institutionnelle en Iparralde dans le cadre de la fin de la lutte armée ?

Il y a eu effectivement nombre de dits responsables politiques qui ont fait de l’existence de la lutte armée un argument pour légitimer leur refus de prendre en compte nos revendications. Mais le problème n’était pas là, bien évidemment. C’est bien le projet de construction nationale et son volet social porté par la gauche abertzale qui était l’élément premier du refus de toute prise en considération de nos revendications. Avec, évidemment, ce jacobinisme malfaisant qui irrigue pratiquement toutes les couches des lieux de pouvoirs décisionnaires de l’Etat français. Le mal premier, le cancer idéologique, est bien cette pensée dominante dans la structure Etatique française qui nie l’existence des peuples qui vivent et revendiquent leur émancipation de la tutelle de l’Etat français. Nous sommes face à un nationalisme français, porté par une « élite politique » et un pouvoir économique et social, qui ne nous fait pas et ne nous fera jamais de cadeau. Il nous faudra aller chercher ce que nous considérons comme juste et légitime. Là encore, il existe des éléments qui doivent nous pousser à un raisonnable optimisme. En effet, la vision française du monde disparait peu à peu. L’Histoire est en marche et dessine un monde nouveau. Nous, Basques, y trouverons notre place, cela ne fait pas de doute.

Dans quelles conditions pensez-vous que la reconnaissance institutionnelle de la langue basque puisse aboutir côté nord ?

Tout d’abord, il faut rappeler que le destin de l’euskara est d’abord entre nos mains. C’est aux euskaldun, aux abertzale, aux défenseurs de « l’être basque » de se positionner, de revendiquer, d’exiger le droit à l’existence et l’application des droits garants d’un avenir pérenne pour notre langue. Mais il y a aussi une action citoyenne à mener. Nous sommes dans un espace qui se revendique démocratique. Je veux parler de l’Europe. Des textes existent (la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et autres textes internationaux émanant de l’ONU et de l’UNESCO) et ils ne nous sont pas appliqués. Nous ne devons pas cesser de mettre les instances françaises, européennes, ONUsiennes face à leurs contradictions, face à leur déni de démocratie concernant les droits linguistiques en Iparralde. Enfin, je pense que l’accès à une institution de type autonomique pour Iparralde nécessitera -de fait- le besoin de donner à l’euskara, notre bien commun entre nord et sud d’Euskal Herri, un statut de langue officielle.

Comment analysez-vous la désunion abertzale en Iparralde ? Par quoi pourrait passer une tentative d’union des forces abertzale ? Comment, selon vous, un consensus pourrait-il être trouvé ? En référence à quel chemin, à quelles perspectives ?

La désunion entre forces abertzale d’Iparralde remonte aux divergences historiques nées de la création d’Iparretarrak (IK) et de l’opposition stratégique entre les tenants du front unique et ceux du front uni. Par ailleurs, l’autre origine de la désunion est bien évidemment la fracture idéologique existant entre forces de gauche et forces de droite.

La première cause de division peut et doit être dépassée. Le contexte politique nouveau s’y prête. Concernant le facteur de classe, je pense que là, l’affaire est plus compliquée. En effet, le projet avancé par la gauche abertzale est bien éloigné de ce que défend la droite qui se dit abertzale. Nous sommes là face à deux visions de la société très différentes. Un consensus est difficile à trouver en la matière. Mais nous avons vu bien des exemples de par le passé, et en divers lieux, où des « unions nationales » s’étaient créées dans des contextes de crise majeure ou lorsque des intérêts vitaux étaient en jeu. Pourquoi pas en Iparralde ?

Gabi Mouesca a passé 17 ans en prison pour ses activités au sein d’Iparretarrak.

Photo: Observatoire International des prisons

La question de l’institution et de la défense de l’euskara sont des domaines qui tiennent de l’urgence, et qui peuvent — et devraient — provoquer un mouvement d’« union nationale » à l’échelle d’Iparralde. Il y a en effet péril en la demeure. Paris s’évertue à nier notre existence et travaille à sa nouvelle organisation politico-institutionnelle. Une réorganisation qui ne prend pas en compte nos revendications institutionnelles. Les décisions qui seront prises à Paris dans les mois à venir vont engager notre avenir pour les 20 à 30 ans qui viennent. Autant dire un temps suffisant pour provoquer notre extinction. Il nous faut réagir et agir à la mesure du péril !

Les abertzale d’Iparralde, — quelle que soit leur tendance — doivent considérer la fenêtre politique qui s’est ouverte grâce à la décision d’ETA comme un temps nécessitant courage, et sens des responsabilités. Courage pour construire l’avenir en osant penser et agir de façon innovante, tout en restant accroché à nos principes et valeurs. Et sens des responsabilités vis-à-vis du contexte actuel qui est un temps rare, précieux, sur le plan de l’Histoire en cours. Oui, la question de l’euskara et de notre avenir institutionnel peuvent être le socle d’une union sacrée des forces abertzale, — gauche et droite confondues. Mais pas uniquement. D’autres forces politiques, non abertzale, peuvent également défendre l’euskara et un projet politique adapté à Iparralde et s’inscrivant dans une dynamique de respect des droits fondamentaux du peuple basque.

Il y a quelques années, entre 1999 et 2005, les mouvements basques étaient plus ou moins arrivés à s’entendre pour faire de la revendication d’un Département Pays Basque une institution voulue par une part importante de la classe politique locale et de la population. Pensez-vous cette revendication définitivement éteinte ?

Je dois tout d’abord vous dire que personnellement je n’ai jamais milité en faveur de la revendication d’un Département Pays Basque. J’ai toujours considéré cette revendication comme contraire à l’idéal émancipateur porté par les abertzale de gauche. Qu’un Département Pays Basque permette une reconnaissance territoriale d’une entité Pays basque nord, soit. Mais là n’est pas mon objectif en tant qu’abertzale de gauche. Mon objectif est d’avoir en main les moyens de décider de notre avenir collectif. C’est une affaire de compétences liées à une institution politique. Une institution qui soit dotée du pouvoir législatif, exécutif et d’une autonomie fiscale. Un département ou autre institution proche n‘est pas doté de telles compétences, ne peut répondre à de tels objectifs. Pas plus qu’il ne permet d’inscrire son action dans un objectif de construction nationale. Car là encore, rappelons-le, nous n’avons pas vocation à rester scellés dans le béton républicain français... nous avons bel et bien pour objectif, en tant qu’abertzale, d’avoir les clés de notre maison commune — Euskal Herria — et de vivre en bonne intelligence avec l’ensemble des nations au sein d’une Europe des peuples. Alors, oui, je le dis clairement, la revendication d’un Département Pays Basque est obsolète, nulle et non avenue. Cessons de regarder l’avenir en ayant les yeux rivés sur le rétroviseur. L’avenir exige de nous que nous pensions hors des schémas de pensées passéistes. Il nous faut oser une pensée radicale innovante, sans quoi, la République française parviendra à son dessein funeste d’étouffement d’Iparralde. Nous n’en sommes pas loin...

Dans le cadre du mouvement Autonomia Eraiki dont vous êtes membre, pensez-vous possible d’engager une dynamique de mobilisation en faveur de la reconnaissance des droits politico-culturels basques en Iparralde ?

Notre discours, notre projet politique, se trouve de plus en plus renforcé par le contexte que nous vivons. Crise économique, mondialisation, les réponses à ces réalités-là sont dans l’autonomie, sa philosophie et ses mécanismes. Il y a une demande de pouvoir de proximité, mais également de responsabilisation. Une institution de type autonomique répond à ces attentes et à ces besoins. Il ne s’agit pas d’imposer une terminologie ou un concept marqué d’un sceau politique particulier. L’autonomie pour tout spécialiste de la chose politique est l’outil qui permet l’acquisition de compétences, dans le temps, le tout dans une dynamique évolutive. Comme l’individu acquière de l’autonomie en grandissant, jour après jour, les communautés ont besoin, pour parvenir au seuil de responsabilité voulu, d’avoir accès à des compétences qui leurs permettent une émancipation graduelle. C’est une démarche qui peut — in fine — mener à la pleine autonomie.

Je pense que le contexte politique actuel favorisera des dynamiques de mobilisation. Les personnes en charge des affaires publiques en Iparralde, par exemple, finiront par prendre conscience que l’avenir de nos enfants et petits-enfants ne se joue pas à Pau, Bordeaux ou même Paris, mais bien à Donostia (St Sébastien), Iruña (Pampelune) et Bilbo (Bilbao). Nous avons tourné le dos à notre avenir jusqu’à présent. Le temps est venu de nous retourner pour faire face à une réalité socio-économique, mais également culturelle et politique, qui place Iparralde dans le bon sens de son Histoire.

Par quel biais pensez-vous qu’il soit possible d’étendre le sentiment abertzale dans un contexte de marginalisation grandissante de l’usage de l’euskara ?

Vous faites le lien entre « étendre le sentiment abertzale » et « marginalisation grandissante de l’usage de l’euskara ». Il faut se garder, me semble-t-il, de trop lier cet objectif précis de diffusion de l’abertzalisme à ce contexte de marginalisation grandissante de l’usage de l’euskara. En effet, si l’euskara, notre langue nationale est et demeure le c½ur de notre identité, l’élément sans lequel le mot Euskal Herri n’a aucun sens, et dont la disparition reviendrait à ôter toute réalité à la notion de peuple basque, il n’en demeure pas moins que la notion d’abertzale inclue la relation à l’euskara mais également à d’autres réalités liées à l’identité des hommes et femmes vivant en Euskal Herri. J’ai toujours considéré que l’abertzalisme était la défense d’un concept « local » de l’Equilibre qui est (ou devrait être) recherché entre les divers éléments composant la vie en un lieu donné. Sur la terre d’Euskal Herri ce mot Equilibre est incarné par l’idéal abertzale. Le lien entre les hommes et femmes, un territoire, une (des) langue(s), une (des) culture(s), les espèces vivantes (animales, végétales, etc...), les activités humaines, une Histoire, un destin partagé, etc., sont autant de facteurs contribuant — ou non — à l’Equilibre. Et nous, abertzale, sommes censés travailler, militer, dans cet objectif-là. Je crois que le temps est venu de se poser un peu et de penser l’avenir. Définir ce qu’est le projet abertzale en ce début de 3ème millénaire. Expliquer, porter, partager la parole auprès du plus grand nombre, pour convaincre les uns et les autres que l’avenir s’écrit en Euskal Herri à l’encre de l’abertzalisme.

“La prison doit changer, la prison va changer, avait-il dit”.

De par mes nombreux déplacements, je rencontre bien des gens hors Euskal Herri. Je puis vous assurer qu’en prenant le temps de l’explication, en laissant le verbe agir, la majorité des personnes rencontrées adhère à notre projet, y trouve un intérêt certain et matière à entrevoir l’avenir dans l’espérance, d’où que l’on soit, car l’abertzalisme, dans le fond, est un bien... universel.

Vous allez ce mois-ci publier un ouvrage. « La prison doit changer, la prison va changer, avait-il dit » chez Flammarion. De quoi s’agit-il, pouvez-vous nous en dire plus ?

La campagne des présidentielles a démarré dans les librairies. Les livres sur les candidats paraissent, ainsi que des ouvrages sur des questions sociétales qui seront abordées en campagne par les candidats. La maison d’édition française Flammarion a demandé à Véronique Vasseur (ancien médecin-chef à la prison de La Santé) et à moi-même d’écrire un livre qui retrace les dix dernières années vécues sur le front carcéral en France. Un ouvrage bilan, qui explique les faits et phénomènes marquants de ces dix dernières années, un travail qui désigne les responsables, dénonce les errements et excès, ainsi que les reniements des uns et les renoncements des autres. A la veille d’une telle élection, il est nécessaire que les choses soient dites clairement, que les citoyen(ne)s soient informé(e)s de ce qui a été fait ou non fait, en leur nom. Et que les candidat(e)s se positionnent sur la question de l’usage de la prison dans notre société. Ce livre est, avant tout, un document citoyen destiné aux citoyen(ne)s !
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