Jean Haritschelhar. Académicien basque: La langue basque a besoin de diplomates

2008-06-27

VELEZ DE MENDIZABAL AZKARRAGA, Josemari

BELAXE. ITZULPEN ZERBITZUA

En 2008, l’hebdomadaire Euskonews & Media fête son 10e anniversaire. À cette occasion, entre autres activités, une fois par mois jusqu’en décembre, un entretien hors-série avec un personnage significatif de l’histoire récente de notre ville sera publié. C’est le cadeau d’anniversaire que nous offrons à nos milliers de lecteurs fidèles.

En 2008, l’hebdomadaire Euskonews & Media fête son 10e anniversaire. À cette occasion, entre autres activités, une fois par mois jusqu’en décembre, un entretien hors-série avec un personnage significatif de l’histoire récente de notre ville sera publié. C’est le cadeau d’anniversaire que nous offrons à nos milliers de lecteurs fidèles.

Beaucoup de basques ont eu, il y a longtemps, un livre sur la table à lire: Euskaldun izan, publié par Jean Haritschelhar. Qu’est ce que c’est être basque?

Etre basque? Cette question a deux axes : le sang et la terre. Quand je fais allusion au sang je rappelle l’histoire de chaque famille, celle qui débute avec les ancêtres et qui, de génération en génération, aboutit au XXIème siècle. C’est le sang qui fait la tribu dont l’origine est basque et qui continue à l’être, la langue basque étant, comme l’a si bien dit Xalbador «la parole du sang».

Quand je fais allusion à la terre c’est au Pays Basque dans sa globalité. Ce n’est pas seulement le sang qui donne à quelqu’un son identité, la terre aussi la lui donne, parce que celui qui naît en Pays Basque est basque aussi. Dans ce cas je préfère choisir un autre mot, créé par Sabino Arana Goiri: euskotarra (habitant du Pays Basque). Comme celui qui naît en France est français, celui qui naît en Pays Basque est basque aussi.

L’histoire nous rappelle que les Basques quittent le Pays Basque pour aller en Amérique, du Mexique à l’Amérique du Sud, sauf le Brésil, et en Amérique du Nord, aux Etats Unis, au Canada et dans divers pays dans le monde entier. Je ne crois pas qu’on puisse dire qu’ils ne soient pas basques. Bien qu’il soit né à l’étranger, ne sachant pas parler basque et que dans certaines familles la langue des ancêtres ait été exclue, le sang leur donne l’identité basque.

Dans le cas de la terre, les enfants nés de parents venus de l’extérieur, s’ils sont habitants du Pays Basque ils devraient apprendre la langue. S’ils ne le font pas, ils perdent une partie du trésor que leur donne le pays mais ils sont considérés comme habitants du Pays Basque. Toutefois, en Pays Basque Sud, il est remarquable de constater que de plus en plus d’enfants nés de parents étrangers, sont invités à apprendre le basque et ils le font car il y a une volonté politique. En Pays Basque Nord, on retrouve les deux catégories. Il y a ceux qui sont étrangers au pays mais qui mettent leurs enfants dans des écoles d’enseignement bilingue que ce soit privé ou public. Pour être basque c’est une démarche remarquable. D’autres, par contre vivent au Pays Basque comme des étrangers, comme s’ils étaient dans une colonie. Il faut demander à ces gens-là qu’ils aient le respect à la fois du peuple basque et du Pays Basque.

Sachant que tous ceux qui vivent au Pays Basque sont considérés comme habitants du pays, ils devraient tous avoir le même objectif. L’habitant du Pays Basque parlant le basque doit maintenir la langue vivante, dans la famille, à l’école, dans la rue et partout. L’habitant du pays mais non d’origine basque devrait entreprendre l’apprentissage de la langue et ainsi devenir bascophone.

Cette définition détermine les limites éthiques mais si l’on observait du point de vue anthropologique être basque a changé les données et les changera encore davantage en regardant vers le futur. Comment voyez-vous dans ce processus, ce que Jose Miguel Barandiaran définissait cet espace basque?

Sans aucun doute, je le vois plus vaste, mais en même temps je demande à ceux qui viennent ici, qu’ils devraient avoir le respect pour le Pays et pour la langue. Je pense que petit à petit la langue basque aura sa dignité quand nous aurons obtenu les 50% de bascophones. Alors, la langue basque aura trouvé sa dignité, elle ne sera pas isolée mais je pense qu’à l’avenir ceux qui vivront ici devront parler deux langues. Ce qui veut dire que nous qui avons comme langue maternelle le basque nous devons la valoriser à tout moment, mais en même temps, ceux qui habitent ici, devront à l’avenir, apprendre la langue locale, parce qu’elle est d’ici.

Je prends comme exemple la Belgique; là il y a ceux qui parlent le Néerlandais et d’autres le français et si la Belgique veut durer il faudra d’une part que les francophones aprennent le néerlandais et ceux qui parlent le néerlandais apprennent le français. Ainsi ils cohabiteront et pour moi, étant donné que jamais le Pays Basque ne sera unilingue mais plutôt bi ou trilingue et là je supprime la frontière, car nous avons trois langues. A mon avis, un jour, ceux qui vivent au Pays Basque Sud devront parler deux langues, le basque et l’espagnol, et ceux qui vivent ici au Pays Basque Nord devront connaître le basque et le français. Ceci étant bien entendu le jeu entre les deux langues. Ce qui veut dire que les deux langues sont au même niveau. On y arrivera, comme vous le dites, petit à petit.

J’ai l’impression qu’au Pays Basque Nord la langue basque et le nationalisme ne vont pas ensemble. Je crois qu’au Pays Basque Sud le bascophone est plus nationaliste...

Pas toujours !

Oui mais pourquoi? Est ce l‘éducation ou l’état qui fait cela? Ou parce que nous avons connu une période sombre de quarante ans au Pays Basque Sud qui a créé une cohésion, que nous ne retrouvons pas ici?

Moi, je crois, que vous avez raison: vous avez vécu une histoire différente de la nôtre. Vous avez eu trois guerres depuis le 19ème siècle, les guerres carlistes qui ont fait naître le patriotisme basque sans aucun doute et puis qui s’est terminé par ce que j’appelle la troisième guerre carliste c’est à dire la guerre civile.

Ce qui fait, que ces trois guerres ont été faites contre Madrid alors qu’ici qu’est ce qui s’est passé? Au 19ème siècle la France a perdu la guerre contre l’Allemagne, alors est né le patriotisme français; la seconde celle de 14-18 a été gagnée, et alors les Basques sont allés à l’armée pour la France, alors que d’autres sont partis vers le Sud ou en Amérique et la troisième celle de 1939, qui a duré six ans et qui s’est terminée en 1945. Ceci a créé une ambiance c’est à dire qu’ici le nationalisme français a toujours gagné. La différence avec vous, c’est que, vous avez toujours fait la guerre pour le Pays Basque et contre Madrid alors qu’ici on s’est battu pour la France et c’est là que naît le déséquilibre.

L’allemand, un étranger tyran?

Oui c’est ce qui s’est passé. Alors qu’aujourd’hui on s’est réconcillié avec l’Allemagne parce que l’objectif c’est l’Europe. Bien que cela se fasse petit à petit. Je répète souvent que je suis basque de naissance, français par la loi et européen en rêve. Mon rêve c’est l’Europe et je ne sais pas combien d’années encore...

C’est vrai qu’au Pays Basque nord ce sentiment d’être européeen est plus développé qu’au Pays Basque Sud. Ne pensez-vous pas qu’au Pays Basque Nord ce sentiment de citoyenneté européenne va croissant?

Il est vrai que nous avons connu une baisse extraordinaire et je n’ai rien contre, car c’est la vérité mais en même temps les écoles basques sont nées. La langue basque est de plus en plus admise mais nos dirigeants, ceux des grands partis politiques, qui ne savent rien du basque, l’acceptent, ce qui veut dire que petit à petit la langue basque retrouve sa dignité. Et d’après les dernières données statistiques cette baisse est stoppée, on est resté à un certain niveau et maintenant on progresse petit à petit. Je pense que petit à petit on avancera. Pourquoi cela?

Parce que l’on s’est rendu compte que la langue basque avait besoin d’un espace. On a vu que les autres l’admettaient et maintenant je vois, par exemple, que les assemblées générales de l’Institut Culturel Basque sont faites en basque et que ceux qui veulent la traduction, prennent des casques. A l’occasion d’inaugurations officielles on donne la priorité à la langue basque. Les conférences données par l’Institut Culturel Basque sont en basque d’abord, puis en français et nos dirigeants politiques admettent que le basque soit en premier. Je pense qu’on a fait un grand pas dans ce domaine. Lors de l’hommage qui m’a été rendu le 24 janvier à Bilbao alors qu’en même temps, une convention a été signée avec l’Office Public de la Langue Basque, organisme officiel avec des représentants du Conseil Régional d’Aquitaine, du Conseil Général des Pyrénées Atlantiques et de la Communauté des communes, tous ont admis que l’Académie de la langue basque était la seule conseillère dans ce domaine. Pour moi, c’est un grand pas. Je crois que l’environnement politique évolue petit à petit; je ne crois pas qu’on ait besoin de révolution, je préfére avancer petit à petit; c’est ce que j’ai fait dans ma vie, toujours pas à pas et un jour on y arrivera.

C’est certain que le peu d’aide qui vient du sud a son effet; je crois que le Pays Basque nord a besoin d’un pilier...

L’aide qui nous parvient du Sud n’est pas petite. Je crois qu’à ce sujet il y a de quoi dire et je veux souligner ici le travail fait par Josemari Muñoa. Je suis resté avec lui plusieurs années à Ustaritz, et plus exactement à l’Insitut Culturel Basque et je sais quel travail il a accompli. Il a été un homme brillant et ouvert. Et comment ne pas parler du rôle joué par Miren Azkarate. Des conventions ont été signées entre l’Office Public de la Langue Basque et le Ministère de la Culture et souvent on voit Miren venir ici; il y a des relations non seulement avec l’Académie de la langue basque mais aussi avec le Gouvernement basque; n’imaginez pas il y a quelques années qu’on aurait pu avoir des relations avec le Gouvernement basque; maintenant tout se fait normalement. Là aussi un grand pas a été fait.

Sans aucun doute, on se souvient encore des entretiens entre Ardanza le président du Gouvernement Basque et Bayrou celui du Conseil Général. Bayrou voyait le Pays Basque sud aussi loin que la planète Mars. Heureusement, petit à petit il semblerait que les deux sensibilités se rapprochent...

Je voudrais aussi expliquer la manière d’agir de F. Bayrou et je dirais que d’une part F. Bayrou est béarnais et qu’il parle le béarnais. Ce qui veut dire qu’il est proche de nous; lorsqu’il était ministre de l’éducation nationale F. Bayrou a reconnu les ikastola. On ne doit pas oublier qu’il avait trouvé un compromis avec Seaska.

Je voudrais rappeler que lorsque F. Bayrou a été nommé président du Conseil Général, je lui avais sollicité un rendez-vous et que nous nous étions réunis ici à Bayonne avec le comité directeur de l’Académie basque. Je lui avais expliqué le rôle de l’Académie, ce que l’on faisait, notre façon de penser, et ce jour même, c’était en 1992, il nous avait invités à Pau. L’Académie basque s’était réuni à Pau d’abord entre nous, puis nous avions été accueilli par F. Bayrou. Je lui avais répondu d’abord en basque, puis en français, puis en espagnol, parce qu’il y avait aussi le ministre de l’éducation de Navarre qui représentait Alli; étaient présents aussi Ardanza, Eli Galdos président de la Députation de Gipuzkoa, Pradera président de la Députation de Bizkaye et Ansola avait envoyé quelqu’un d’Araba. Ce jour-là le 30 juillet 1993 le zazpiak bat (les sept qui font un ) se sont réunis à Pau, au Parlement de Navarre. Ce fut un grand pas et par la suite nous avons obtenu la reconnaissance officielle d’utilité publique, gràce à deux hommes François Bayrou, ministre de l’Education nationale et Alain Lamassoure ministre des affaires européennes. Ils avaient obtenu l’agrément du ministre Charles Pasqua. Ce qui veut dire que lorsque vous êtes en relation avec des non-bascophones et qu’ils se rendent compte de ce que l’on fait, vraiment, alors ils comprennent qui nous sommes.

Je pense que lorsque l’Académie basque a élu Haritschelhar comme président, elle l’a fait avec beaucoup de sagesse, pour la bonne cause de la langue basque. Non seulement parce que J. Haritschelhar a fait un travail remarquable mais parce qu’il a joué le rôle de médiateur entre les institutions des deux pays. Que serait-il passé si l’on avait nommé président quelqu’un de la province d’Araba qui aurait eu peu de sensibilité pour le Pays Basque Nord...

Le père Villasante avait eu un accident en montagne. Il savait qu’il devait céder sa place et un jour il me confia que je pourrais être président de l’Académie; je lui répondis aussitôt vous pensez vraiment que c’est possible. Serais-je admis? Il m’avait répondu qu’il y réfléchirait et quelques mois plus tard il m’avisa que c’était possible. Le changement eut lieu à la députation de Bizcaye et je me souviens qu’Ardanza était présent et que la nomination avait eu lieu en sa présence. Je me souviens aussi que Krutwig m’avait dit: «que s’est-il passé aujourd’hui? On n’a jamais vu cela?» je lui répondis: «Mais voyons Krutwig, les choses évoluent, ce n’est plus pareil, nous sommes dans une situation différente et pour nous c’est intéressant».

Je suis resté seize ans président de l’Académie basque. A cette époque, Jack Lang était ministre de la culture en France, il m‘avait envoyé une lettre pour me féliciter. Ce n’est pas rien! Je l’ai à la maison et c’est la première fois que j’en parle. Alors l’Académie basque était déjà entrée dans des travaux de recherche importants, et nous devions continuer et c’est ainsi que nous avons fait.

Vous avez parlé des contacts que vous avez eus lors de votre parcours et j’en suis témoin, par exemple lorsqu’ Eusko Ikaskuntza vous avez remis le prix Manuel Lecuona en 2005 à Baigorry, votre village natal, ceux qui s’étaient réunis pour cette cérémonie étaient de diverses tendances politiques. Cela veut dire que vous avez bien entretenu vos relations, en utilisant beaucoup de diplomatie. La langue basque et le Pays Basque ont besoin de diplomates n’est ce pas?

C’est exact, je me souviens que lorsque cette remise de prix a eu lieu à Baigorry, Joxe Juan Gonzalez de Txabarri et Jean Jacques Lasserre étaient présents, le président de la Députation de Gipuzkoa et celui des Pyrénées Atlantiques. Les deux étaient présents et pour moi ce fut une surprise, je ne pensais pas qu’ils me feraient un si grand honneur. Je crois que je suis reconnu autant d’un côté que de l’autre. Oui c’est certain, la langue basque a besoin de diplomates.

Vous nous avez raconté comment vous avez été président de l’Académie. Pour moi le travail que vous avez réalisé est remarquable. Mais je voudrais savoir quels ont été les meilleurs moments et les pires...

En 1989 quand nous avions signé une convention avec les trois députations et celle de Navarre, tous reconnaissaient que l’Académie était importante pour la langue et qu’il fallait l’aider. Ceci a été un bon moment. Mais après ont suivi des périodes plus austères, plus précisément du côté financier. Nous avions entamé des travaux importants et ces recherches demandaient beaucoup de temps et certains ont cru que nous ne le faisions pas sérieusement et alors on nous a diminué les subventions. Mais petit à petit ils se sont rendu compte que le travail que nous avions réalisé était bien fait.

Quand vous prenez les 16 tomes du dictionnaire général, vous vous rendez compte que cela ne se fait pas d’un jour à l’autre. Lorsque vous regardez les résultats des enquêtes de l’atlas linguistique, il faut reconnaître que l es chercheurs de l’Académie ont recueilli cinq siècles de langue basque orale et écrite, un trésor considérable. De même qu’en France, il y a «le trésor de la langue française», l’Académie basque devra aussi un jour recueillir «Le trésor de la langue basque» contenant tous les dialectes de la langue utilisée dans les sept provinces.

On connut une période noire avec l’attittude de la Navarre, quand elle rompit le contrat que nous avions signé en 1989, car elle ne voulait plus de relations avec la Communauté Autonome Basque. Depuis nous avons repris les relations avec la Navarre mais je garde le souvenir de cette rupture comme un moment difficile.

Pour moi ce fut un bon souvenir lorsque je fus nommé président de l’Académie et plus précisèment quand nous fûmes reçus par le roi et la reine à Madrid; en tant que Basque de France je devais parler devant eux mais j’avais demandé à mes collègues de l’Académie de rédiger le discours et que je le prononcerai. L’unique politique de l’Académie basque est de communiquer avec tout le monde tout en accomplissant son devoir de protection de la langue et son développement.

Le roi fut étonné que ce soit un Basque de France qui fasse la défense de la langue basque. Il devait penser que la langue basque n’était qu’un trésor du territoire espagnol...

Je ne sais pas, je voudrais aussi rappeler que lorsque la cérémonie fut terminée, le roi demanda aux journalistes de sortir, car il voulait continuer à discuter avec nous en privé. Je me souviens alors que la reine me demanda dans quelle situation se trouvait la langue basque en France. Je lui avais répondu et en partant je l’avais saluée en premier, puis le roi m’avait dit eskerrik asko (merci beaucoup). Au moins il savait le dire.

Vous avez dit auparavant que l’Académie basque ne devait pas faire de politique?

Chacun son rôle: que les politiciens fassent de la politique, que les académiciens en fassent en tant que citoyen, mais l’Académie en tant que telle ne doit pas en faire, elle a d’autres responsabilités. Ainsi tout le monde est d’accord. Par exemple lorsque la Députation de Bizkaye nous donna le siège principal à Plaza Barri à Bilbao, elle avait engagé beaucoup de frais, et l’aménagement intérieur avait été fait avec l’aide du Gouvernement basque, du Gouvernement de Navarre et des deux autres députations. En 1991 lors de l’inauguration, tous les présidents étaient là: Ardanza, Alli, deux présidents de gouvernement et trois députés généraux.

Il est vrai que lorsqu’un homme politique est élu, nous lui faisons une visite de courtoisie; peu importe la couleur du parti qu’il représente. Nous l’avons ainsi fait pour les deux présidents de gouvernement, député général, les maires des grandes villes, avec François Bayrou aussi. J’ai eu de bonnes relations avec tous, j’ai été bien reçu non seulement au Pays Basque sud mais aussi au Pays Baque nord, à Madrid, Barcelone, Valence...

Le président actuel de l’Académie procède de la même manière lorsqu’à Bayonne le nouveau local a été inauguré ou à Saint Pée sur Nivelle lors de Herri urrats. Il est le président de l’Académie pour le Basque, le bascophile qu’il soit du sud ou du nord, peu importe.

Jean Haritschelhar est un homme politique, bascophile et linguiste. En tant que Professeur émérite de l’Université de Bordeaux comment voyez vous l’avenir de l’université autonome pour le Pays Basque nord?

Je ne sais pas, mais un jour elle existera, c’est certain. Tous me disent que je suis optimiste, plein d’espoir. Là aussi il faut avancer petit à petit et je vais vous dire ce qui s’est passé. Auparavant nous avons pensé qu’il fallait mener les choses avec rigueur. La langue basque était une deuxième langue aussi bien à Bordeaux qu’à Pau, elle n’avait pas le même niveau que les autres langues et notre rêve était que la langue basque soit considérée comme première langue.

Le premier pas a été de créer UEU (Université basque d’été) qui est née ici à l’époque franquiste; nous représentions alors le symbole de la liberté. Avec Charritton et d’autres nous avons créé l’Université Basque d’Eté, mais pas n’importe comment, j’avais eu l’accord du Recteur de Bordeaux pour le faire au lycée Maurice Ravel à Saint-Jean-de-Luz. C’est à dire dans un endroit officiel, et ainsi on l’organisa trois années de suite. Puis, par manque de place, nous sommes allés à Ustaritz à Landagoyen où nous sommes restés pendant quatre ans avant d’aller au Pays Basque Sud. Nous avons été les pionniers, tous les cours étaient donnés en langue basque.

Puis une autre période débuta quand Mitterand fut nommé président de la République de France. Pour une deuxième avancée, un autre groupe récemment créé avait l’objectif de créer les études basques à la faculté de Bayonne, avec l’accord obtenu de Pérez, président de l’université de Bordeaux III et avec l’accord du président de Bordeaux II alors que celui de Pau ne nous l’avait pas accordé. Je tiens à le rappeler car je n’ai pas oublié les conflits que nous avons eus avec les représentants de l’université de Pau.

Je dois quand même dire que celui qui dirigeait la faculté de Bayonne, malgré qu’il fût professeur à Pau, nous avait ouvert les portes et nous avait donné son accord pour utiliser les services administratifs. Lors de l’inauguration en octobre 1981, M. Lavrof président de Bordeaux II, M. Perez de Bordeaux III et Julian de Ajuriagerra professeur émérite du Collège de France qui représentait notre groupe, avaient pris la parole ainsi qu’Henri Grenet, maire de Bayonne. Les diplômes que nous donnions étaient ceux de l’université, quatre UV (unité de valeur) et le certificat en troisième année. J’ai dirigé ces études de 1981 à 1986 année où je pris ma retraite. Je fus très surpris car dès la première année 129 étudiants étaient inscrits ce qui justifiait le besoin de créer une telle structure.

La troisième étape eut lieu plus tard. Entre temps les relations entre les universités de Bordeaux III et de Pau s’améliorèrent. Lors de l’année universitaire 1985-1986 une convention fut signée entre les présidents des deux universités et les diplômes étaient donnés avec le cachet des deux universités. Deux ans plus tard, quand Mitterand gagna les élections, Jospin ministre de l’Education reconnut la valeur des diplômes des études basques, DEUG, licence, master et capes. Nous avions alors réalisé nos rêves. La langue basque était entrée parmi les autres langues, comme première langue et avait des diplômes comme les autres langues. Depuis, à la Faculté de Bayonne, on forme des enseignants pour les écoles primaires et secondaires, reconnus pour la première fois en France.

En même temps, si mes souvenirs sont bons, en 1983, j’avais créé à Bordeaux le groupe Iker rattaché au C.N.R.S. Nous étions trois à quatre chercheurs alors. Après moi, Orpustan prit la relève, puis Beñat Oyharzabal, et maintenant Ricardo Etxepare. Dans ce centre de recherche les deux universités de Pau et Bordeaux sont représentées. Ce centre, nommé Iker, est composé d’une vingtaine de chercheurs aujourd’hui. Orpustan créa une revue appelé «Lapurdum». On peut se rendre compte, des étapes qui ont été réalisées au niveau universitaire en vingt-cinq ans.

Que Bayonne ait sa propre université, est une autre question car c’est le gouvernement qui décide et Pau sera toujours défavorable car elle ne veut pas être affaiblie. Le département et l’université vont de pair.

Plein d’espoir! Vous avez été aussi maire, êtes-vous socialiste?

Non, jamais! J’ai voté Mitterrand car je n’étais favorable ni à Chirac ni à Giscard d’Estaing, mais je n’ai jamais eu la carte du parti socialiste.

Pardon! Comment voyez vous la situation politique du Pays Basque vis à vis de la France?

Au Pays Basque nord, ce sont les partis politiques français qui ont la majorité, c’est à dire UMP, Centre, et les socialistes. Mais petit à petit les abertzale basques occupent le terrain. Mon conseiller général, Jean-Michel Galant car je vote à Baigorry, est abertzale et se présente à nouveau. On voit aussi que d’autres abertzale basques sont entrés dans d’autres listes et qu’ils ne font pas partie de l’opposition; ils sont entrés à Biarritz comme Jakes Abeberry qui a montré que les abertzale étaient compétents. Ceci a été notre premier exemple; puis d’autres ont été élus maire. Je prends un exemple: A Saint-Pierre-d’Irube, tout le monde sait qu’Alain Iriart est abertzale, mais je ne sais pas ce qui se passera maintenant. Personne ne s’est présenté contre le maire; ce qui veut dire qu’il gère bien les affaires municipales et qu’il se présente aussi au Conseil Général. Certains disent qu’il a laissé de côté sa basquitude. C’est stratégique, rien de plus. Moi je sais qu’il est abertzale et qu’il agira en tant que tel. Ce qui veut dire que s’il gagne à Saint-Pierre-d’Irube et je pense que oui et si Jean-Michel Galant gagne à Baigorry, deux abertzale seront présents au Conseil Général.

Progressivement les abertzale entrent dans les municipalités et pour moi c’est très important. Ainsi quand on fait partie de la majorité, on peut faire quelque chose. Quand on est dans l’opposition on ne concrétise rien. Là aussi, petit à petit, pas à pas, il faut entrer dans les municipalités, sans aucun doute. Ainsi par les idées abertzale faire accepter la langue basque ou d’autres projets. Les abertzale ont des idées, c’est certain, et petit à petit, l’abertzalisme fait son chemin au Pays Basque nord.

Quand on pense qu’en 1895 les frères Arana Goiri créérent le Parti Nationaliste Basque, combien de temps a-t-il fallu avant qu’il n’ait la majorité à la Députation forale de Bizkaye? 20 ans environ. Les choses ne se font pas du jour au lendemain. Les changements ont besoin d’un certain délai et comme disait Mitterrand il faut laisser le temps au temps.

Et le rêve du département basque?

Récemment Jacques Attali a fait une proposition pour supprimer les départements. Dans ce cas-là, c’est certain, on ne parlera plus de département basque. Mais aussiôt des protestations se sont soulevées contre ce projet et Sarkozy a aussitôt fait savoir qu’il n’y toucherait pas. Les départements dureront, mais le gouvernement français n’acceptera pas de diviser le département.

Il faut dire que la majorité des élus, députés, sénateurs, les maires de Bayonne, Biarritz, Anglet ainsi que le maire de Saint-Jean-de-Luz qui est Ministre de l’intérieur ne sont pas favorables. C’est exact qu’en France il y a des départements plus petits, tant par la superficie que par la population, en tout une trentaine. Mais les dirigeants français se méfient des Basques, ils craignent qu’un jour, ils s’allient avec les Basques du sud. J’ai déjà rappelé que le département et l’université vont ensemble, mais aussi la Chambre d’agriculture et l’officialisation de la langue basque. La France, pays des droits de l’homme, mais jacobine, n’est pas prête de l’admettre de sitôt. Un jour peut-être, mais quand?

Et le Pays Basque unifié comment le voyez-vous?

Quand j’ai dit européen par rêve, je pense qu’un jour il y aura l’Europe fédérale. Nous n’y sommes pas certes; de plus l’accord qui vient d’être signé à Lisbonne ne nous est pas favorable, mais un jour il faudra bien que l’Europe fasse son unité. Aujourd’hui nous sommes 27 et dans quelques années nous serons 30.

Un jour, qu’on le veuille ou non, il y aura une Europe fédérale. Quand? je ne sais pas. Dans cette Europe Fédérale pourrait paraître le Pays Basque entier! Comme région, qui sait? Je ne vois pas d’autre rêve.

En tant qu’ancien directeur du Musée Basque vous ne souhaitez pas voir le Pays Basque nord, comme pièce de musée...

Non, Je voudrais changer ce point de vue. Un musée n’est pas une chose morte. Un musée vit et autour du musée il y a des forces, comme les Amis du Musée Basque qui ont leur importance. Un musée est un trésor et le Pays Basque en a besoin. De ce trésor sortent des recherches. J’ai créé le Bulletin du Musée Basque et là ont été publiés de très nombreux articles écrits par des universitaires. Là on voit bien que ce n’est pas seulement un lieu de visite mais en même temps ce musée inspire des sujets de recherche. Alors en Pays Basque, le nord ne sera pas considéré comme pièce de musée; c’est certain on expose ce qu’était le Pays basque à une époque donnée, mais c’est du passé, et c’est là qu’on se rend compte comment le Pays Basque est en train de changer.

Moi je pense qu’il faut le montrer dans un musée. Personnellement, j’ai joué ce rôle en montrant comment les choses ont évolué en 50 ans et comment un musée doit les exposer.

Pour terminer, que lui reste t il à Jean Haritschelhar grand homme, pluridisiciplinaire, –directeur de musée, professeur d’université, académicien basque, maire– à voir au Pays Basque?

Que la langue basque soit pratiquée de plus en plus, qu’elle soit reconnue, respectée et que la transmission se fasse. Les enfants qui ont été scolarisés dans les ikastola ont fait leurs études en langue basque et un jour ils seront à leur tour parents d’élèves. Je pense qu’ils assureront la transmission et que leurs enfants parleront la langue basque et ainsi les choses évolueront petit à petit. Ce qui veut dire que pour l’avenir, étant donné le travail considérable réalisé par les ikastola, ainsi que par les écoles publiques et privées qui encouragent le modèle B, je pense que l’on est dans le bon chemin.

Tout a commencé en 1969, lorsque les premières ikastola sont nées en Pays Basque Nord, qui sont reconnues officiellement comme les autres écoles aujourd’hui. Mes petits enfants sont passés par là et je pense que là c’est une grande révolution. Une révolution profonde, qui ne se fait pas du jour au lendemain, certes, mais petit à petit, les choses changent. Moi, en cela j’ai la foi et je vois un Pays Basque Nord tout à fait changé. Pourquoi pas, comme les ikastola ont obtenu leur reconnaissance officielle, la Chambre d’Agriculture ne l’aurait pas? Le Pays Basque a besoin de cela et là je pense que les choses vont évoluer d’ici une douzaine d’années et que vers 2020 les choses seront totalement modifiées.

Les Basques ne sont pas comme avant, les filles employées de maison à Bayonne, Bordeaux ou Paris et les garçons domestiques aux Etats Unis, Paris ou Bordeaux, parce qu’ici ils ne trouvaient pas de travail; maintenant les filles entrent à l’université. Les Basques ne restent plus dans leur coin, vivre de l’agriculture; non, nos agriculteurs sont titulaires du baccalauréat, et ils gèrent leurs affaires d’une manière différente et c’est cela qui a fait le changement ces dernières quarante et cinquante années.

En venant à Bayonne, je me suis rendu compte que les cabines de douane avaient disparu à Biriatou. Est ce qu’un jour disparaîtront les frontières qui sont en nous entre le Pays Basque Nord et Sud?

Je pense qu’entre les états on peut supprimer une frontière mais les gens ont la frontière dans leur tête. Tout de même, en voyant le nombre de personnes du Pays Basque Sud vivant à Hendaye, je pense qu’on peut changer de situation c’est à dire que, petit à petit, ceux du Sud connaîtront mieux ceux du Nord, et aussi ceux du Nord connaîtront mieux ceux du Sud. Le temps du XIXème siècle est terminé où chacun vivait dan sa vallée et jamais n’en sortir.

A propos j’ai une anecdocte: j’avais un ami d’école à Baigorry, qui vivait au quartier Belexi dans la montagne; il venait à l’école tous les jours et en 1942 quand les Allemands réquisitionnèrent les jeunes; d’abord il les firent travailler dans une carrière de Baigorry puis ils devaient aller travailler en Allemagne dans le cadre du STO (Service du Travail Obligatoire). Qu’avaient fait ces jeunes de Baigorry? La plupart avait passé la frontière à Erratzu, et Elizondo puis de là allèrent jusqu’à Miranda de Ebro et de là au Maroc. Alors Franco agit habilement, étant donné que l’Espagne était neutre dans le conflit, il n’aurait jamais dû laisser passer les gens. Là-bas, ils étaient entrés dans l’armée, car il y avait un militaire natif de Baigorry, le commandant Minjonnet, qui plus tard avait été maire de Baigorry avant moi, il avait terminé comme colonel et était entré dans la deuxième DB.

Ils allèrent de Marrackech à Londres, puis entrèrent en France en juin 1944 et libèrèrent Paris, puis Strasbourg et de là jusqu’à Berchtesgaden. Ce jeune vint en permission chez lui en train et quand il descendit à la gare de Bayonne et qu’il vit la cathédrale, l’Adour, il s’écria: Que Bayonne est beau! C’était la première fois qu’il allait à Bayonne. C’était ainsi; en 1939-1940, chacun restait dans son coin. Certes, ils connaissaient d’autres gens, et allaient de Baigorry à Garazi les jours de marché.

Aujourd’hui vous n’avez qu’à prendre une voiture à Mauléon et en deux heures et demie vous êtes à Bilbao. Il y a davantage de relations entre le Nord et le Sud. Vous voyez que les choses ne sont pas comme avant, l’environnement a complètement changé.

Jean, je vous vois très enthousiaste et vraiment je vous le souhaite ainsi beaucoup d’années encore, de ma part rien de plus.

Oui, on me dit que je suis trop optimiste, ce qui ne veut pas dire que je ne vois pas les choses comme elles le sont , mais je vois aussi un nouvel itinéraire. Moi, je suis revenu au Pays Basque en 1962; j’ai vécu loin du Pays Basque à Paris et Agen; j’étais venu au Musée Basque et cela fait 46 ans que je vis au Pays Basque; ce sont mes souvenirs d’autrefois et les actuels et je vois ce qu’il y avait alors et aujourd’hui, tous les changements qu’a connus le Pays Basque Nord.

Mais vous connaissiez Bayonne n’est ce pas?

Moi je connaissais Bayonne

Je ne sais pas ce que vous avez dit, trop optimiste (baikorregi, en basque) ou trop baigorriar... Je suis Baigorriar et optimiste. Jean Haritschelhar Duhalde (Baigorri, 1923) Né à Baigorri le 13 mai 1923, Jean Haritschelhar Duhalde fréquente d’abord l’école publique du village. Par la suite, ses études l’entraînent à Bayonne, à Mont-de-Marsan et à Toulouse. Il accède au titre de Docteur ès Lettres de l’Université de la Sorbonne de Paris en 1969, grâce à deux thèses: «Le poète Pierre Topet-Echahun» et « L’oeuvre poétique de Pierre Topet-Etxahun». Le 19 décembre 1949, il épouse Colette Neveu. Le couple et ses enfants habitent Boulogne-sur-Seine puis Agen, en Gascogne. De 1952 à 1959, Jean Haritschelhar exerce comme professeur au lycée d’Agen puis, de 1962 à 1986, comme professeur de Langue et de Littérature Basque à l’Université de Bordeaux. En 1962, nommé directeur du Musée Basque de Bayonne, il ressuscite la revue Bulletin du Musée Basque publiée avant la guerre par le commandant Boissel, créateur du musée, puis réduite au silence en 1943. En 1962 également, il devient membre titulaire de l’Académie de la Langue Basque, Euskaltzaindia. Il occupe les fonctions de vice-président de 1966 à 1988 avant d’être nommé président en 1989, en remplacement de Luis Villasante. Il préside Euskaltzaindia jusqu’en 2004. De 1971 à 1980, il est maire de Baigorri, sa ville natale. En 1988, il est nommé Docteur Honoris Causa de l’Université du Pays Basque et, en 2004, la Société des Études Basques lui décerne le prix Manuel Lekuona.
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